Comment légaliser les drogues ; propositions pour aller de l’avant

Le « problème des drogues », c’est loin d’être le seul problème des drogués : c’est le problème des mafias et des gangs ; le problème de l’économie de survie des quartiers déshérités ; le problème de la transmission du sida ; le problème des relations intergénérationnelles ; le problème plus général des « échafaudages de secours » que chaque société s’autorise pour continuer à tenir debout, tant il a toujours existé des drogues légales ; et encore le problème de l’avenir de l’agriculture française ou des frontières de l’Europe. Face à l’explosion actuelle de cette prolifération de problèmes, il n’y a désormais plus d’autre issue que la légalisation de toutes les drogues. C’est-à-dire non seulement la dépénalisation de l’usage, mais l’autorisation légale de la production et de la distribution. C’est à en dessiner les contours, à identifier les difficultés concrètes et les questions infiniment plus sérieuses qui se poseront à l’occasion (qu’elles soient éthiques, économiques, sociales ou politiques) qu’il faut désormais s’atteler.

Le contexte nous y porte. Au cours de l’année qui vient de s’écouler, un débat semble avoir pris au niveau international puis national sur le statut légal des drogues, qui montre qu’il n’est plus aujourd’hui totalement martien de défendre une telle position, même si elle reste très minoritaire. Appel international de scientifiques engagés dans la lutte contre le sida à l’été 2010 pour que « soit reconsidérée l’approche répressive de la politique mondiale sur la drogue » ; déclaration quelques mois plus tard du rapporteur spécial sur le droit à la santé de l’ONU « pour un changement fondamental de la politique des drogues » ; rapport d’une Commission mondiale sur la politique des drogues [1] appelant en juin dernier à réformer de façon « urgente » les politiques de contrôle des stupéfiants, et à « encourager l’expérimentation par les gouvernements de modèles de régulation légale des drogues, afin de réduire le pouvoir de la criminalité organisée et protéger la santé et la sécurité de leurs citoyens » — les épisodes n’ont cessé de se succéder, jusqu’à gagner la France en juin avec la proposition de l’ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant d’une « légalisation contrôlée du cannabis ». Or la question n’est plus aujourd’hui de seulement déconstruire, mais aussi de construire, et de débattre de ce qu’on voudrait mettre à la place de la prohibition. D’où ce texte, en deux étapes ou à double objectif. Ce qu’il nous faut maintenant, pour nous-mêmes, pour débattre ou pour faire circuler tous azimuts, c’est au moins deux choses : 1/ disposer d’un argumentaire contre la prohibition et pour la légalisation — pas seulement celle du cannabis — qui permette, ne serait-ce que de passer à autre chose, 2/ commencer à imaginer et articuler les principes et les rouages du dispositif légal dont aurait besoin un système légalisé d’accès aux drogues, à toutes les drogues. Et on verra qu’à l’examen, le terrain n’est pas si vierge qu’on aurait pu l’imaginer.

pour en finir avec la prohibition

La classe politique, qui est aujourd’hui le bastion du conservatisme sur la question des drogues, a opposé ce printemps quatre types d’arguments à la légalisation du cannabis proposée par Daniel Vaillant : le cannabis est dangereux ; dépénaliser encouragerait l’usage ; les autres trafics en sortiraient renforcés ; l’interdit est structurant. Mais aucun de ces arguments ne tient, ni pour le cannabis ni pour les autres drogues.

les drogues sont dangereuses ?  Certes les drogues, toutes les drogues sont dangereuses, y compris le cannabis, le tabac, l’alcool et la morphine. Mais dans la vie réelle, celle où des substances psychoactives continuent non seulement d’être produites mais demandées, la question n’est pas de savoir si les drogues sont dangereuses en soi, ou par elles-mêmes, mais de savoir si elles sont moins dangereuses en régime de prohibition qu’elles ne le sont en régime de légalisation — à savoir de production et de distribution contrôlées. Or la réponse est presque trop simple : contrôler la délivrance d’un produit permet non seulement de contrôler sa composition (finis le cannabis coupé au pneu, l’héroïne mêlée de strychnine, le cachet d’ecstasy contenant tout sauf de l’ecstasy), mais aussi d’en définir les conditions d’accès (dont pourront être exclus par exemple les mineurs et les personnes présentant un certificat médical d’inaptitude à l’usage), de peser sur les volumes en circulation et les prix, et d’accompagner sa délivrance de messages de prévention. Autant de questions aujourd’hui laissées à l’appréciation d’un empilement de marchés hétéroclites, depuis l’investissement mafieux qui lance la chaîne des reventes, jusqu’aux petits commerces de subsistance qui la bouclent.

dépénaliser encouragerait l’usage ?  L’exemple du Portugal, qui a dépénalisé l’usage de toutes les drogues il y a dix ans, montre le contraire : en 2009 un rapport faisait apparaître qu’après huit ans d’application de la nouvelle loi, le pourcentage d’adultes prenant des drogues au Portugal était devenu l’un des plus faibles de l’Union européenne et la proportion des 15-19 ans consommateurs avait baissé [2]. La politique de tolérance des Pays-Bas n’a pas conduit non plus à une explosion des consommations : les données de l’OEDT (Observatoire européen des drogues et des toxicomanies) y indiquent au contraire un niveau deux fois moins important qu’en France. On ne peut pas pour autant inverser le raisonnement et prétendre que la répression stimule la consommation. L’histoire globale des drogues le montre : les usages et les cultures (contextes de consommation, circulations de produits d’un groupe social à l’autre, besoins ou désirs de modifier ses états de conscience) façonnent davantage les niveaux de consommation que les appareils législatifs qui cherchent à les contraindre. C’est sur les usages, en d’autres termes sur les modes de socialisation des drogues, qu’il faut s’efforcer de peser, et non pas sur les modulations de l’interdit.

les autres trafics en sortiraient renforcés ?  Peut-être, si le cannabis seul était légalisé demain en France, le trafic des autres drogues gagnerait-il en tension et en violence, tant les parts de marché sont précaires et les revenus de substitution sont rares, à l’échelle de « la rue ». Raison de plus de légaliser l’ensemble des drogues, mais non sans trouver des solutions pour ouvrir les portes de l’emploi légal aux dizaines de milliers de petits dealers qu’une telle opération mettrait au chômage. On y reviendra.

l’interdit est structurant ?  Oui, évidemment. L’interdit est au principe de toute éducation, et peut-être de toute vie sociale, à condition d’être protecteur, de s’adresser à tous, et de ne pas abandonner ceux qui le transgressent. Mais les lois sur les drogues fonctionnent à l’envers : elles excluent au lieu de protéger, prétendent dresser une paroi étanche entre ceux qui usent des drogues et ceux qui n’en usent pas. Donner une coloration morale à l’interdit adossé à ces lois est indécent et ­ravageant : c’est abandonner sans cadre non ­seulement les ­consommateurs mais tous ceux qui les accompagnent, les familles, les éducateurs. Depuis quarante ans les lois sur les drogues ne sont que renforcement des digues (les textes n’ont connu que des modifications allant dans le sens d’une répression accrue), focalisation sur une échelle de dangerosité des produits remise en cause à mesure des années par la recherche scientifique, répétition d’une rhétorique toujours plus lâche et plus creuse. Agité comme un chiffon rouge par une classe politique qui élude ses responsabilités, l’argument est criminel.

six raisons de légaliser

Ceci posé il faut aussi dire pourquoi nous voulons une légalisation des drogues. Nos raisons sont au nombre de six, au moins.

1. la vie contre la morale  Qu’on nous explique pour commencer ce qu’il y a de mal à vouloir modifier ses états de conscience, pour se détendre, s’amuser, s’ouvrir aux autres, se stimuler, y trouver du plaisir, s’expérimenter soi-même en diverses situations, parfois remédier simplement à des états de trop grand déplaisir, de souffrance, d’angoisse, à ses risques et périls et dès lors qu’on le fait sans nuire à la sécurité des autres. Qu’on nous permette ensuite de détester tous les pro-life, anti-avortement ou opposants farouches à la reconnaissance des drogues qui tiennent pour plus élevé de défendre la frontière entre le « bien » et le « mal » que de s’inquiéter de la vie des individus. Car le fond de l’affaire est bien d’abord de continuer à vivre, et le parallèle peut s’imposer avec l’histoire de l’avortement : il n’y a eu que trop de morts dans l’ombre de la loi, et si le point de bascule s’est produit, pour l’avortement, lorsque le corps social et politique a pris conscience qu’interdire aussi strictement avait pour effet de mettre des vies en danger, parions qu’un mouvement semblable pourrait bientôt se produire avec les drogues. Certes, nous opposera-t-on, les drogues tuent, il y a les overdoses. Mais combien auraient pu être évitées avec des teneurs en produit actif stables ? Combien d’intoxications, parfois très graves, causées par des produits de coupe visant à rallonger les volumes sans égard pour la santé des consommateurs ? La prohibition de l’alcool aux États-Unis dans les années 1920 fourmille d’exemples de petits et grands désastres liés à la circulation de produits frelatés. Certes, nous dira-t-on encore, les produits intoxiquent à petit feu, causant d’importants dommages à long terme, et on peut s’effrayer de voir se développer, aux côtés de l’alcoolisme, des cocaïnomanies ou des héroïnomanies, des cirrhoses et problèmes hépatiques divers, des séquelles neurologiques, cardiaques ou autres. Mais là encore, autant documenter ces problèmes et les affronter que les ranger dans l’ombre des méfaits qui auraient dû être évités. On peut parier sans grand risque qu’une légalisation des drogues assurerait un équilibre risques-bénéfices supérieur au régime de prohibition actuel : légaliser permettrait non seulement de maîtriser la qualité des produits, mais d’en contrôler la délivrance et de faire passer des messages de prévention ; faire des drogues un objet commun, si dangereux soit-il, permettrait d’en améliorer la socialisation et d’apprendre à en contrôler les risques — de la même façon qu’on apprend à contrôler ces objets extraordinairement dangereux que sont les voitures — ; soustraire les drogues à leur diabolisation permettrait d’en faire un objet comme les autres et de stimuler les développements de la recherche, au plan sanitaire comme au plan social.

2. et les petits ?  L’un des principaux arguments de la droite, c’est la terreur des drogues pour « nos » enfants. Mais alors imaginons un parent qui raisonnerait ainsi : il se dirait qu’il n’a pas envie que ses enfants prennent de la drogue, parce que quand même, c’est une saleté ; mais il sait en même temps que cette non-envie, de même que tous les avertissements et autres exhortations qui l’ont accompagnée, sont de bien faibles remparts contre le désir de drogue si un jour il saisit ses enfants ; car, de fait, il sait bien que si ses enfants ont envie de drogues, ils en trouveront sans mal ; il se dit donc que sa vraie terreur n’est pas que ses enfants prennent des drogues, mais qu’ils passent dans un système de silence et de marges où toute parole est devenue impossible, et donc où toute sortie possible devient extrêmement aléatoire, en tout cas indépendante de tous ses discours ; du coup, il se dit qu’il préfèrerait que les drogues soient légalisées, ne serait-ce que pour maintenir la possibilité, pour que ses enfants puissent au moins lui en parler en disant « on a le droit ». Est-ce là un parent irresponsable ? Ou simplement un parent de gauche qui aime davantage ses enfants qu’il ne hait les drogues ?

3. cessons d’alimenter la bête  La prohibition nourrit des organisations criminelles d’une violence inouïe qui gangrène des pays entiers : l’année passée, plus de 15 000 personnes sont mortes assassinées au Mexique dans des affaires liées au narco­trafic [3]. Les lois répressives alimentent également la surpopulation carcérale et la clientèle judiciaire dans des proportions absurdes : en Grèce, près de la moitié des 11 000 détenus grecs sont en prison à cause des drogues [4] ; les États-Unis comptent 300 000 personnes incarcérées pour seul trafic de drogue, plus que l’ensemble de la population carcérale de la moitié de l’Europe. En France près de 15 500 peines d’emprisonnement ont été prononcées en 2009 pour infraction à la législation sur les stupéfiants, dont plus de 8 500 pour des délits liés à la consommation (usage ou détention). Quand on sait la violence de l’univers carcéral, on mesure l’immensité du gâchis. Si on élargit la focale aux centaines de milliers de gardes à vue annuelles qui, outre leur violence propre, alimentent les circuits d’exclusion (fichage étayant de futurs dossiers de récidive, constitution de casiers judiciaires qui entraveront un peu plus encore l’accès à l’emploi), le désastre s’accroît encore.

4. reconvertir l’argent de la répression  D’accord, le coût de la répression ne constitue pas ici l’argument ultime — ce sont bien des raisons politiques qui nous poussent à revendiquer un changement de législation : la défense de la liberté individuelle, des arguments de santé publique, la nécessité de rompre avec les logiques punitives ; mais la question du choix d’usage des ressources publiques mérite tout de même d’être posée : des sommes faramineuses sont englouties par la répression, qui pourraient être redéployées ailleurs, notamment pour la prévention et l’éducation. Au Portugal les économies réalisées sur les coûts de la répression ont permis d’augmenter les sommes attribuées aux programmes thérapeutiques. En France, estimait récemment l’économiste Pierre Kopp [5], la légalisation du cannabis permettrait à elle seule d’épargner 300 millions d’euros de dépenses dues aux interpellations, auxquels viendraient s’ajouter les dépenses dues aux gardes à vue, au ­fonctionnement des ­tribunaux et à l’exécution des peines. Il faut casser la spirale d’une guerre sans fin, sans efficacité et toujours plus coûteuse.

5. réduire les inégalités On observe un double lien entre drogues et inégalités. D’une part, il semble, au vu des comparaisons internationales, que le niveau de consommation soit corrélé au degré d’inégalité sociale : plus une société est inégalitaire, plus fréquente y est la consommation de drogues [6]. On comprend mieux alors pourquoi la prohibition échoue : les niveaux de consommation dépendent bien davantage des inégalités sociales que des politiques publiques. D’autre part, la prohibition elle-même produit des inégalités : la répression ne s’abat pas de la même manière sur tous les groupes sociaux, d’abord parce que le trafic est particulièrement visible dans les quartiers aux plus hauts taux de chômage, où il fournit une activité rémunératrice, ensuite parce que les modes de consommation sont socialement différenciés, donc inégalement exposés à la police : on risque moins à sniffer de la cocaïne dans une fête entre jeunes cadres qu’à fumer du crack entre deux voitures dans la rue. Aux États-Unis, trois fois plus d’Afro-américains que de Blancs sont incarcérés pour des problèmes de drogues, alors que les études montrent que la consommation serait deux fois supérieure chez les Blancs [7].

6. le principe Allen Carr  C’est le nom de cet auteur de best-sellers expliquant comment arrêter de fumer. Son principe est simple : je vais vous convaincre que le tabac est une calamité, mais pour vous en convaincre, j’ai besoin que vous soyez extrêmement attentif ; or si vous êtes fumeur ce n’est possible que si vous fumez tout du long de votre lecture ; or cette condition n’est elle-même possible que si vous avez le droit de fumer. Autrement dit, il n’est possible de renoncer à sa dépendance, quelle qu’elle soit, que si on en comprend les mécanismes délétères ; mais une telle compréhension n’est possible qu’à condition de pouvoir l’expérimenter librement. Le pouvoir de dire non aux drogues et le pouvoir d’en user, c’est tout un.

Quatre chantiers pour la légalisation

Il suffit de formuler l’exigence d’une légalisation pour qu’apparaissent sous un autre jour certains aspects des usages et de l’économie des produits illicites que la tournure du débat politique sur les drogues a largement occultés, et auxquels les plus fervents anti-prohibitionnistes ont pu trouver jusqu’à présent une forme paradoxale de confort, sinon de positivité. Plaider pour la légalité de la production, de la distribution et de la consommation, c’est s’apprêter à bouleverser radicalement les mondes des drogues tels qu’ils se sont développés sous la prohibition dans toutes leurs dimensions, y compris les moins apparemment néfastes d’entre elles. Quatre chantiers au moins s’ouvrent alors, quatre champs de problèmes à résoudre, d’institutions à bâtir, de politiques à inventer, qui doivent être mis en débat.

1. quelle échelle ?  Me marché des drogues est sans doute l’un des plus mondialisés qui soit. La prohibition l’est tout autant : elle repose sur des conventions internationales qui imposent à leurs signataires l’interdiction de la consommation, tout en leur laissant le choix de la sanction. D’où une difficulté. On sent bien d’un côté qu’une léga­lisation menée isolément par un pays créerait de fortes tensions, puisque le pays en question pourrait devenir le refuge d’une industrie légale de la drogue alimentant des trafics illégaux dans tous les autres. Mais on voit bien de l’autre qu’on ne peut pas attendre un hypothétique consensus interétatique pour commencer à agir. La difficulté est du même ordre que celle qu’on objecte à la mise en place d’une taxe sur les transactions financières : ce serait bien, mais on ne peut pas, parce qu’il faudrait le faire partout, or les autres ne veulent pas. La solution aussi : il faudra bien commencer, le tout est que quelques pays, suffisamment assurés politiquement, commencent, et fassent la démonstration qu’on a tout à gagner à contrôler la production et la circulation des substances plutôt que s’efforcer sans fin de les supprimer de la surface de la planète. Par ailleurs, les législations nationales sont déjà différentes, et certaines d’entre elles s’écartent de la norme prohibitionniste, tant en Europe (où les dépénalisations portugaises et néerlandaises voisinent avec la répression à la française) qu’en Amérique (où la Bolivie a tenté de sortir des conventions internationales pour légaliser la coca, et où la Californie autorise des usages thérapeutiques et des formes d’autoproduction du cannabis).

2. quels revenus dans les quartiers ?  Une autre inquiétude sous-tend certaines des réticences politiques à la légalisation : cette dernière compromettrait l’équilibre déjà précaire des quartiers populaires, en bouleversant une économie parallèle qui permet d’y vivre par des moyens que l’économie légale n’offre plus — en démantelant une culture du deal qui aurait contrebalancé la marginalisation sociale consécutive à la désindustrialisation et au chômage.

Il est en effet certain que l’argent lié au commerce illicite de drogues aide aujourd’hui des quartiers entiers à tenir la tête hors de l’eau. Stéphane Gatignon, maire écologiste de Sevran (Seine-Saint-Denis), évoque volontiers cette « autre économie » qui permet à nombre de familles de sa ville de tenir et de payer leurs factures : au centre commercial, signale-t-il, « la plupart des achats se font en liquide [8] ».

On peut regretter que cette « autre économie » soit encore aujourd’hui trop peu documentée. Elle l’est suffisamment cependant pour établir deux faits. Premièrement, l’économie du trafic ne se réduit pas à la représentation courante du dealer, armé et au volant d’une voiture de luxe, affichant avec arrogance son argent et son affranchissement des contraintes professionnelles communes. Ce personnage existe, et il mérite sans doute assez peu de sollicitude, tant sa réussite est une caricature du capitalisme le plus brutal. Mais il est très minoritaire : il n’est au fond qu’un cadre intermédiaire dans une économie assez banalement hiérarchisée, avec au-dessus de lui des détenteurs de capitaux, socialement invisibles, et sous ses ordres une kyrielle de petits salariés, parfois très jeunes, chargés de la revente, du guet, du conditionnement, du repérage des clients, des stockages intermédiaires, etc. Ces derniers constituent la très grande majorité de ceux à qui le trafic fournit des revenus aujourd’hui. Or, c’est le deuxième fait, les quelques études [9] réalisées au cours des vingt dernières années sur les revenus du deal — celui du cannabis notamment — témoignent de la faiblesse des gains de ces « smicards du business », pour reprendre l’expression de Dominique Duprez et de Michel Kokoreff, mais aussi du fait que ces gains, souvent complémentaires de revenus licites, participent d’une économie de subsistance. La légalisation des drogues ne priverait-elle pas ces populations de ressources actuellement indispensables ? N’aggraverait-elle pas le sort des zones urbaines les plus déshéritées ?

Soyons clairs : s’il s’agit là d’une objection à la légalisation, elle est aussi indéfendable que facile à disqualifier. Il faut être d’un cynisme éhonté pour s’accommoder de la paix sociale, toute relative et provisoire, que garantirait une économie du deal qui s’exerce dans un mépris total du droit du travail : absence de contrat de travail, précarité et flexibilité, horaires non comptés, etc. Ce cynisme se porte sans doute très bien en privé, il est le fait de tous ceux qui, à droite comme à gauche, refusent aujourd’hui le débat sur les drogues, mais on voit mal quiconque oser en faire état publiquement.

Lever l’objection n’est toutefois pas dissoudre l’inquiétude : elle rappelle à ceux qui exigent aujourd’hui la légalisation des drogues qu’il en va — au-delà des questions de liberté, de santé et de sécurité publiques — d’un combat bien plus vaste ayant trait notamment à la politique de la ville, à l’emploi, à la solidarité.

Il faut toutefois l’admettre, ceux qui n’éludent pas ces questions peinent encore à leur trouver des réponses pleinement convaincantes — nous en sommes. Les brèves incantations des derniers chapitres de l’essai que Stéphane Gatignon et Serge Supersac — qui plaident pour une légalisation du cannabis et une dépénalisation des autres drogues — ont récemment publié sont de ce point de vue significatives. « Il faudra, écrivent-il, au moins 100 000 emplois pour empêcher ces 100 000 petits dealers soudainement privés de ressources de basculer dans une autre forme de délinquance. » Et de parier à la fois sur une politique de l’emploi public, sur les promesses de l’économie verte, mais aussi sur les créations d’emplois consécutives à la légalisation elle-même : production agricole de cannabis et de pavot, distribution à grande échelle, contrôle de la qualité et vente. Or il n’est pas sûr que la reconversion professionnelle qu’ils appellent de leurs vœux soit aussi simple qu’ils le suggèrent, ni que le modèle de la SEITA, qu’ils convoquent à l’instar de Daniel Vaillant, soit le plus propice à une telle insertion dans le monde du travail légal. Les enquêtes disponibles sur l’univers du deal — celle, désormais classique, d’Edward E. Preble et John J. Casey en 1969 sur le business de l’héroïne, celle plus récente de Philippe Bourgois sur les vendeurs de crack à New York, les travaux de Dominique Duprez et Michel Kokoreff en France, ceux de Pascale Jamoulle en Belgique — insistent sur la part non monétaire dans l’attrait du trafic : le prestige du revendeur et les gratifications associées. S’il s’avère que la culture du deal, intimement liée à celle de la rue, est vécue comme une culture de résistance à la domination blanche et bourgeoise et au fonctionnement hiérarchique du monde de l’emploi, un transfert mécanique de compétences acquises dans un contexte prohibitionniste vers une économie légale est actuellement très improbable.

Reste que le défaut de propositions claires et convaincantes signale aussi le terrain sur lequel il est aujourd’hui urgent de placer le débat politique, plutôt que s’épuiser encore longtemps à échanger des arguments d’un autre âge pour ou contre la prohibition. Il faudra bien qu’un tel débat ait lieu. Mais il faudra aussi faire en sorte d’y inviter les principaux intéressés en pariant qu’ils pourraient devenir, forts du savoir-faire — et des capitaux — qu’ils ont accumulés dans l’illégalité, des acteurs du processus de légalisation. Aujourd’hui déjà, une part non négligeable de l’économie licite est occupée par des acteurs en provenance ou au voisinage de l’économie illicite. L’argent à blanchir irrigue aujourd’hui une part des petits commerces de téléphone, de pizzas, et autres, pour ne prendre en considération que le niveau le moins élevé de cette économie de reconversion. C’est la preuve que la considération pour l’économie licite existe aux yeux des acteurs illicites (du reste, ils ne pourraient accumuler longtemps sans investir dans le licite), et que ces acteurs sont prêts à basculer dans le licite.

Autant dire qu’il faudra, pour mener un tel débat, commencer par décréter un moratoire sur la prohibition, et admettre ce qu’il a de peu glorieux. Car envisager une reconversion de l’économie du deal, c’est proposer une sorte d’amnistie par l’économique, qui verrait l’argent sale officiellement blanchi, sans considération pour la violence de son accumulation primitive, avec consécration des positions acquises dans l’économie criminelle : celui qui aura le plus accumulé dans l’économie clandestine, aura les meilleures armes pour gagner sa place dans l’économie officielle [10]. La légalisation sera donc aussi le fruit amer de l’échec de la prohibition. Il faut l’assumer.

3. quel marché ?  Un des principaux chantiers de la légalisation, c’est d’en organiser l’économie. Comment penser l’organisation pratique de l’accès légal à toutes les drogues ? La réponse la plus crédible, pour une société capitaliste comme la nôtre, est sans doute d’instituer un marché pour ces produits. Or, un marché, on le sait, repose sur des règles, des principes, des institutions : en faut-il de nouveaux, de spécifiques pour le marché des drogues ? À la fois oui et non. Non au sens où il s’agit d’institutionnaliser un marché en s’inspirant de ceux des drogues légales. Mais oui aussi parce que la légalisation nécessite justement d’inventer quelque chose de nouveau, sur le triple terrain de la production, de la distribution, et du prix.

Commençons par la distribution : comment les consommateurs auraient-ils accès aux produits ? L’économie actuelle des drogues légales (tabac, alcool et médicaments) nous fournit trois modèles : des lieux de vente libre, soit spécialisés (bureaux de tabac, cavistes), soit généralistes (l’alcool se vend aussi en supermarché), et des lieux de vente administrée (sur ordonnance et en pharmacie pour les médicaments). Achètera-t-on de la cocaïne légale comme on achète du tabac, comme on achète de la bière, ou comme on achète des médicaments ? Si la vente libre fait frissonner à première vue, elle nous semble plus appropriée parce qu’elle aurait le mérite d’inciter plus largement les usagers à entrer dans le circuit légal (étant entendu qu’il nous paraît naïf de penser annihiler les circuits illégaux par la seule légalisation). Écartons la vente en supermarché, décidément trop éloignée de ce à quoi nous sommes culturellement prêts : un circuit de distribution des ex-drogues illicites comparable à celui du tabac ne semble pas très difficile à imaginer, ni à organiser.

Deuxième question : celle du prix. Il semble à peu près évident que si la vente des drogues était libre, le prix de vente, lui, en serait administré. On a en effet du mal à imaginer des prix qui varieraient en fonction du rapport entre l’offre et la demande, baissant à mesure que les producteurs d’héroïne parviendraient à réduire leurs coûts de production, augmentant en cas de mauvaise récolte du chanvre. Il apparaît qu’il faille sur ce point prendre exemple sur le marché du tabac en France, lequel repose sur un prix réglementé unique pour chaque produit dans les centres de distribution que sont les bureaux de tabac. Le problème reste cependant entier : quel serait ce prix ? Si le prix fixé administrativement était trop bas, il constituerait une incitation à la consommation. Inversement, s’il était trop élevé, il entretiendrait un marché parallèle illégal qu’il s’agit justement de réduire le plus drastiquement possible. Voici ce qu’Étienne Apaire, président de la MILDT, répond à Pierre Kopp sur RTL le 3 août 2011 : (avec la légalisation du cannabis, que défend Pierre Kopp) « on aurait la contrebande, on aurait le problème de santé publique, on n’aurait pas résolu la question sécuritaire car malheureusement ces trafiquants ne sont pas des maniaques du cannabis, c’est des maniaques de l’argent, ils feraient demain soit du cannabis plus fort, soit de la contrebande, soit d’autres substances pour maintenir je dirais leur commerce » ; et de s’appuyer sur l’exemple du tabac pour soutenir que la légalisation ne règle ni la question de la consommation, ni celle du trafic. L’argument est parfaitement réversible : admettons que 20% du commerce de cigarettes échappe au contrôle des buralistes ; ne serait-ce pas un progrès considérable que 80% des ventes de drogues soient contrôlées ?

Une autre difficulté dans la fixation du prix des drogues tient à l’importance des externalités qu’elles suscitent. Dans le vocabulaire économique, une externalité est un effet de l’activité de l’agent A sur le bien-être de l’agent B, sans compensation monétaire. Si A nuit à B (par exemple en occupant son hall d’immeuble pour se piquer, en laissant traîner ses seringues usagées, en dépréciant la valeur des logements), il y a externalité négative. La réponse économique à cette situation « sous-optimale » consiste à faire payer A. Il faut donc inclure dans le prix des drogues de quoi compenser les coûts qu’elles occasionnent pour la société. La difficulté n’est cependant pas insurmontable. Là encore, on sait le faire pour le tabac : les taxes qui le renchérissent contribuent à financer les soins coûteux qu’il occasionne. Mais surtout, on peut faire l’hypothèse que la majeure partie des externalités liées aux drogues sont engendrées non par le produit en lui-même, mais par l’illégalité de leur consommation, et qu’elles seraient réduites (sans être annulées) par une légalisation : c’est le trafic, et l’investissement de lieux publics non dévolus à ces usages, qui rendent l’usage de drogues pour ainsi dire « asocial ».

Troisième enjeu économique d’une légalisation des drogues : leur mode de production. Car légaliser, insistons sur ce point, ce n’est pas seulement autoriser la distribution des drogues, ni fixer leur prix, c’est aussi autoriser qu’on les produise, c’est-à-dire légitimer une industrie qui en tire profit. C’est toute l’insuffisance et la contradiction de la semi-légalisation hollandaise que d’avoir autorisé l’usage et la vente tout en ayant continué à lutter contre les réseaux d’approvisionnement par lesquels les vendeurs se fournissent auprès de producteurs. Une politique conséquente ne doit donc pas reculer devant la question suivante : qui pourrait produire légalement, et comment ?

Le cas du cannabis est sans doute particulier car il est plutôt aisé à cultiver, de sorte que l’on pourrait envisager la coexistence d’une production contrôlée administrativement et d’une autoproduction pour des quantités limitées. À l’inverse, les drogues de fabrication chimique méritent une production professionnalisée et supervisée par l’État. Ce serait sans doute un prolongement de l’actuel secteur pharmaceutique. Il n’est pas très difficile à imaginer : après tout, ce sont les laboratoires pharmaceutiques et les centres de recherche qui ont inventé la morphine, la cocaïne ou l’héroïne.

Rien à voir avec des médicaments, nous dira-t-on. Mais si les antirétroviraux de Merck aident les malades du sida à vivre au prix de chimies lourdes abîmant parfois sévèrement les corps, si les chimiothérapies dézinguent les cheveux, le foie, les reins, pour permettre à des malades d’échapper au cancer, ne peut-on accepter une industrie de pilules ou de poudres du bonheur (cocaïne, héroïne, ecstasy) qui certes présentent des risques d’effets secondaires, voire, comme tout produit chimique lourd, des risques d’accident, mais sont susceptibles de produire du plaisir et d’aider à tenir ceux qui n’y parviennent que sous adjuvant chimique ?

Quant aux réticences politiques qu’on pourrait éprouver à l’idée de légitimer une industrie des drogues qui en tirerait profit, rappelons qu’elle existe déjà. Sa seule différence avec celle que nous proposons, c’est qu’elle est extraordinairement antisociale : elle profite de l’illégalité pour ne payer aucun impôt, aucune cotisation sociale, ne respecter aucune règle de droit du travail et vendre de la merde au prix fort. Quitte à avoir une industrie de la drogue, ne vaut-il pas mieux qu’elle paie les impôts, taxes et cotisations dus par toute activité productive marchande, qu’elle soit soumise au droit du travail, et que la qualité de ses produits soit contrôlée sous peine d’être éjectée du marché ? Un marché des drogues, comme tout marché, nécessiterait des instances de régulation pour éviter la captation par quelques-uns des profits, comme le mépris de la sécurité du consommateur.

4. quelle loi ?  Contrairement à la simple dépénalisation, la légalisation des drogues suppose non pas une évaporation de la loi, une suspension de la peine, un effacement des interdits, mais au contraire un travail législatif fin, beaucoup plus exigeant et subtil que le massif interdit actuel. Car poser ici la question d’une nouvelle législation, c’est interroger ce qu’on attend d’une loi, le type de sujet qu’elle appelle, le genre de société qu’elle implique, la politique qu’elle sert. Ne peut-on attendre plus des lois que d’être des appareils à coercition et à conformité ? La loi actuelle vient cimenter un discours moral. Il pourrait s’agir ici d’en construire une qui ouvre à des positions éthiques. Risquons-nous à quelques propositions.

La loi devra d’abord définir les lieux et circonstances où on a le droit de consommer, avec pour critère la sécurité et le respect d’autrui. Il est par exemple évident que la conduite sous l’emprise d’une drogue sera pénalisée, comme l’est pour l’alcool l’ivresse au volant.

Elle devra aussi définir les obligations des producteurs et des distributeurs : modalité d’obtention de licences, peut-être conditionnée à une exigence de compétence, délimitation des lieux d’exercices possibles, obligation d’informer (notices, composition, message de prévention, mention des risques, des effets secondaires, des interactions chimiques, etc.), engagement de responsabilité sur la qualité et la fiabilité du produit (analyse des compositions, contrôles), bref qui a le droit de vendre quoi, comment, où ?

Mais l’un des enjeux juridiques les plus importants de la légalisation sera de fixer l’âge à partir duquel l’acquisition et la consommation sont autorisées, et plus précisément encore, de réglementer la disponibilité des produits pour les mineurs.

Objection possible : à quoi sert de légaliser si on laisse sous le coup de la loi les pratiques juvéniles, maintenues dans une clandestinité dont on sait qu’elle pose de nombreux problèmes ? Le déplacement est pourtant décisif. Il y aura toujours des mineurs qui transgressent la loi — n’est-ce pas le propre de l’adolescence que d’expérimenter les limites ? Mais une chose aura changé : les conditions du dialogue entre générations sur la question des drogues. Actuellement, celui-ci est confiné à des lieux, à des moments et à des interlocuteurs spécifiques, policiers, médicaux et judiciaires pour l’essentiel, associatifs occasionnellement, lors des séances de « sensibilisation », toujours un peu rituelles, organisées pour les écoliers. Ce dialogue est quoi qu’il en soit terriblement entravé, puisque la loi interdit, non seulement l’usage, mais sa « présentation sous un jour favorable » (art. L630), ce qui appauvrit considérablement le discours autorisé. Ceci n’empêche sans doute pas les discussions au sein de la famille, mais biaise celles qu’on pourrait souhaiter — et qui souvent émergent, de fait — dans un cadre institutionnel, par exemple à l’école, entre un jeune consommateur et un adulte choisi par lui, qui parlerait aussi depuis sa propre expérience.

La légalisation permettrait donc à des adultes non-experts de devenir des interlocuteurs. Entreraient alors dans le dialogue tous ceux qui pour l’instant ne peuvent y prendre pied : l’infirmière scolaire et pas seulement le toxicologue, les entraîneurs et pas seulement les juges, l’enseignant et pas seulement le policier ou le militant associatif. Chacun serait en position de responsabilité quant à ce qu’il a à transmettre : la question de l’autorisation et de l’interdiction, de ce qui est bon et de ce qui est nocif, des plaisirs qu’on éprouve et des précautions à prendre, des dangers et des découvertes, ne serait plus abandonnée à des positions d’expertise : elle deviendrait une question partagée.

Enfin, l’ultime enjeu de cette question d’une nouvelle loi sur les drogues n’est pas juridique, mais proprement politique : comment faire pour parvenir à rassembler une majorité autour du thème de leur légalisation ? comment faire pour que le consensus relatif qui règne aujourd’hui entre les intervenants avertis de la question des drogues devienne soit un consensus nouveau au sein de la population, c’est-à-dire d’une écrasante majorité qui pense ne pas se droguer, soit une thématique supposée impopulaire mais qu’un parti politique aurait enfin le courage d’inscrire dans son programme de gouvernement, dans la lignée des grandes conquêtes politiques : la pilule, l’avortement, la peine de mort, le mariage homosexuel, la frugalité écologique… ?

En vérité, il n’y a jamais eu que deux voies : laisser la situation se pourrir encore davantage, que l’on devienne comme le Mexique ou la Colombie pour que même les politiques soient contraints d’accepter l’évidence ; ou bien, argumenter, c’est-à-dire chercher les raisons qui peuvent convaincre chacun que la légalisation des drogues le concerne. En un sens, tout ce texte est là pour inviter à croire que cette seconde voie n’est pas déjà complètement bouchée. Et de parier qu’un appel à chacun de s’intéresser à la question de la légalisation des drogues pourrait même s’avérer drôle et instructif. Ne serait-ce qu’en apprenant à moduler ses arguments. Rappeler aux âmes les plus apeurées le danger des mafias et les statistiques indiscutables sur l’échec de toutes les politiques prohibitionnistes et autres guerres contre la drogue. Rappeler à ceux qui refusent d’user de drogues illégales mais usent et abusent des drogues légales qu’ils sont simplement un peu lâches, en tout cas guère cohérents s’ils ne se soucient pas du sort de ceux qui sont encore, pour le moment, « de l’autre côté de l’eau ». Rappeler aux usagers de drogues occasionnels qu’il est bien peu digne d’en jouir pour son plaisir privé et bourgeois et de ne pas se soucier de ceux qui tombent dedans et ne parviennent pas à s’en sortir. Rappeler aux usagers de drogue dépendants et en souffrance qu’ils ne sont pas des parias et que leur voix politique compte autant que celle des autres. Rappeler aux parents que leurs enfants comptent davantage que leur image sociale. Rappeler aux adolescents que légaliser n’est pas valoriser. Rappeler aux politiques cyniques qu’en s’opposant à toute légalisation au nom de leur minable intérêt électoral, ils font un mal fou et inutile, prennent des vies, ce dont ils seront bien un jour comptables. Rappeler aux politiques idiots qu’ils sont idiots et qu’ils pourraient l’être moins. Effectivement réapprendre en définitive à moduler ses arguments, c’est-à-dire réapprendre à faire de la politique. Ce qui n’a rien de révolutionnaire mais n’est déjà pas si mal et peut laisser espérer de passer un jour à autre chose.

 

Notes

[1À savoir la Global Commission on Drug Policy, qui compte notamment parmi ses membres l’ancien président brésilien Fernando Henrique Cardoso, l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, les anciens présidents de Colombie César Gaviria et du Mexique Ernesto Zedillo et les écrivains mexicain Carlos Fuentes et péruvien Mario Vargas Llosa.

[2Il s’agit du rapport du Cato Institute, un influent think tank américain : http://www.cato.org/event.php?eventid=5887. Selon lui le Portugal comptait en 2009 11,7 % de consommateurs de cannabis contre 30 % au Royaume-Uni ; 1,9 % y prenaient de la cocaïne contre 8,3 % chez le voisin espagnol ; le nombre des héroïnomanes était tombé de 100 000 à 40 000 et la proportion des 15-19 ans prenant des drogues était passée de 10,8 % à 8,6 %.

[3Le Monde, 16 septembre 2011.

[4Le Monde, 30 août 2011.

[5Le Monde, 3 août 2011.

[6Kate Pickett & Richard Wilkinson, The Spirit Level, Why Equality is Better for Everyone, Penguin Books, 2010. Une traduction a paru en français sous le titre L’égalité c’est la santé (Demopolis).

[7Stéphane Gatignon et Serge Supersac, Pour en finir avec les dealers, Grasset, 2011, p. 176.

[8Ibid., p. 135.

[9Cf. les travaux de Michel Schiray (1994), Dominique Duprez & Michel Kokoreff (2000), Pascale Jamoulle (2003), Daniel Sanfaçon (2005), Pierre Kopp (2006), Christian Ben Lakhdar (2007).

[10Voir sur ce point les travaux de Carlo Morselli au Canada.

 


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Publiée dans Vacarme 57, automne 2011, pp. 1-39.

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