EGUZKILORE / Maria Luisa CESONI : « Les politiques en matière de consommation de drogues illicites à l’ère de la mondialisation »


Texte de María Luisa CESONI, Faculté de droit, Université Catholique de Louvain,
Publié dans EGUZKILORE Número 19. San Sebastián, Diciembre 2005, pp. 61 – 81


Résumé :


Les drogues semblent représenter un cas précoce de mondialisation. Le cadre juridique global a engendré des effets économiques et logistiques. Les droits des consommateurs de drogues sont limités dans deux domaines fondamentaux : juridique et socio-économique. Le fait de pénaliser l’usage solitaire et volontaire par une personne majeure porte atteinte à plusieurs libertés fondamentales. Les politiques de réduction des risques, qui apparaissent après la diffusion du SIDA, viennent changer en partie cette situation.


Du point de vue tant phénoménologique que politico-juridique, le domaine des stupéfiants semble représenter un cas précoce de mondialisation, entendue comme la caractéristique, propre à certains phénomènes, de se manifester au travers des frontières (et éventuellement, en tendance, à l’échelle mondiale1). En 1973 déjà, le titre de l’ouvrage « Les grandes manœuvres de l’opium2 », de Catherine Lamour et Michel Lamberti était traduit en italien par « Il sistema mondiale della droga3 »; on écrira, à la fin du siècle, de la drogue comme de « l’autre mondialisation4 ». Non seulement les substances actuellement dites stupéfiantes ont d’emblée circulé à travers les frontières et les continents (à la fin du XVIIIe siècle, l’opium était la principale monnaie d’échange de la Compagnie des Indes anglaises dans ses commerces de produits manufacturés avec la Chine5), mais, aussi, les conventions internationales en matière de stupéfiants ont constitué l’un des premiers corpus cohérents de droit international à caractère pénal, comprenant à la fois des incriminations, des normes procédurales et des principes généraux. Désormais, 143 pays sont parties à la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, et 154 à la Convention sur le trafic illicite de stupéfiants et substances psychotropes (dite convention de Vienne) de 1988. Ce cadre juridique global fondé sur le principe de la prohibition, qui limite l’utilisation de stupéfiants aux objectifs médicaux et scientifiques et incrimine tout autre type de destination des produits, a engendré, par ailleurs, des effets économiques et logistiques similaires dans l’ensemble des pays concernés : hausse des prix, gestion des trafics de manière organisée, circulation et réinvestissement de flux d’argent considérables. En revanche, malgré l’uniformité du cadre juridique, essentiellement axé sur la répression de la production et distribution des produits, les politiques pénales en matière de consommation, tout comme les politiques de santé et de prévention, restent, pour l’essentiel, nationales et diversifiées. Cependant, le cadre prohibitionniste a aussi produit des conséquences similaires à l’égard de la consommation, du moins celle des produits généralement appelés « drogues dures » : (aggravation de la) marginalisation des consommateurs, développement de formes de petite criminalité pour faire face aux prix élevés des produits, problèmes de santés découlant aussi bien du style de vie marginal que de produits frelatés ou de mauvaises pratiques d’usage. Dans une étude comparative européenne de 1993, qui survole vingt ans de politiques en matière d’usage de stupéfiants, on avait notamment constaté que la superposition de mesures pénales aux interventions médico-sociales, induite par le cadre juridique prohibitionniste, avait produit des effets préjudiciables aux consommateurs qui présentent des problèmes d’usage ou d’insertion: les budgets destinés à la répression dépassaient généralement les sommes destinées au financement des activités de prévention et de soins (constat que les études de Pierre Kopp ont plus tard confirmé6) ; la marginalisation progressive des consommateurs, provoquée ou aggravée par la répression, rendait plus difficile l’accès aux soins généraux ; nombreux étaient les usagers en prison, avec de multiples conséquences négatives, tant au plan de la réinsertion socio-professionnelle que de l’engagement dans une véritable carrière criminelle7. Une telle situation a enfermé une partie des consommateurs dans une catégorie – celles des dits « toxicomanes » – pour laquelle l’accès aux droits sociaux et économiques fondamentaux (et, selon certains, aux libertés fondamentales) n’est pas assurée. Nous examinerons la manière dans laquelle deux types de facteurs – le contexte législatif (§ 1) et le contexte des relations du travail (§ 2) – contribuent à provoquer une dégradation des droits des consommateurs de drogues. Mais d’abord : quels consommateurs ? En effet, une partie considérable des usagers de drogues illicites échappe substantiellement à notre analyse : étudiants consommateurs de cannabis, travailleurs usagers festifs d’ecstasy, cadres supérieurs dépendants de la cocaïne, usagers d’héroïne bien intégrés dans le monde du travail… Les connaissances relatives à ces populations sont encore limitées8, mais on peut supposer que le droit qu’on leur dénie le plus souvent (en rapport avec leur consommation) est celui de consommer librement. Notre analyse se concentrera ainsi, pour l’essentiel, sur les usagers dépendants des drogues dites dures ou faisant un usage dur de drogues dites douces, et qui se trouvent en situation de marginalisation déjà avant ou à cause de leur usage9. Il s’agit de ceux qui sont le plus concernés par les politiques législatives et pénales en particulier10, en raison tant de l’accumulation de problèmes divers que de leur plus grande visibilité.


1. DES INÉGALITÉS JURIDIQUES, MAIS AUSSI SOCIALES


Les droits des consommateurs de drogues sont limités dans deux domaines fondamentaux : juridique et socio-économique. Un tel constat n’est pas récent. Si l’on se réfère aux analyses des droits des consommateurs effectuées après qu’un phénomène appelé « toxicomanie » a été constaté, en Italie, par exemple (c’est- à-dire l’un des pays dont la loi est le moins répressive à l’égard des usagers), on se rend compte que, dans les années 1970-1980, on soulignait déjà la stigmatisation et la discrimination dont faisaient l’objet les usagers de drogues11, ainsi que les effets nocifs que la condition d’ancien ou actuel toxico-dépendant pouvait exercer au moment de la recherche d’un emploi, d’un logement, ou dans toute situation demandant l’établissement d’une situation de confiance. Les effets nocifs de l’emprisonnement étaient aussi mis en exergue12. Beaucoup plus récemment, en brossant un tableau saisissant, P. Jamoulle a montré la manière dans laquelle, dans un contexte de précarité préexistant, les jeunes recourent aux drogues et « sont ensuite confrontés à des logiques sociales défensives qui, dans un contexte de désinsertion scolaire et familiale, pénalisent particulièrement leurs comportements de consommation et de débrouille (placements, incarcérations…). Leurs confrontations, souvent traumatiques, au champ pénal et les apprentissages qu’ils font en institution ou en prison alimentent leur relégation familiale et sociale, ils créent les conditions de l’étiquetage toxicomaniaque. Beaucoup de jeunes perdent à ce stade la maîtrise de leurs consommations de produits psychoactifs, renforcent leurs engagements dans les systèmes de vie liés aux drogues et se distancient d’autant plus du champ institutionnel et des dispositifs d’insertion, de soins et de réhabilitation13. ». Le législateur italien de 1975 avait ainsi décidé de limiter autant que possible la répression des consommateurs ; l’usage en tant que tel n’a pas été incriminé, et la détention de quantités limitées de stupéfiants pour l’usage personnel n’était pas punissable. Dans les années 1980, des mesures alternatives à la détention ont été prévues pour les usagers condamnés pour d’autres infractions. Dans la même période, toutefois, des pays européens tels que la France (en 1970) ou la Suisse (en 1975) optaient pour une répression directe de l’usage, bien qu’assortie de la possibilité (cependant limitée) d’éviter les poursuites en suivant un traitement. Depuis lors, les politiques pénales concernant la consommation de stupéfiants restent tout aussi différentes.

1.1 Une répression inégale


Dans la seconde moitié du XXe siècle, la répression des usagers de stupéfiants a connu, en Europe occidentale tout au moins, des oscillations continues14. Dès 1988, la situation des consommateurs s’est partiellement aggravée, suite à l’adoption de la Convention de Vienne sur le trafic international de stupéfiants et substances psychotropes. Adoptée pour faire face à l’internationalisation croissante des trafics, source de gains importants pour les organisations criminelles transnationales, et « reconnaissant que l’élimination du trafic illicite relève de la responsabilité collective de tous les États » dans le cadre de la coopération internationale15, cette convention a prévu, dans son article 3.2, l’incrimination de la détention, de l’achat et de la culture de stupéfiants destinés à la consommation personnelle. La portée de la disposition a cependant été limitée par la référence au respect des principes constitutionnels et des concepts fondamentaux du système juridique de chaque État partie à la convention. Certains pays ont ainsi considéré qu’ils n’étaient pas obligés d’adopter ces incriminations16, arguant du fait que, par exemple, l’usage ne représentant pas une infraction pénale, il serait juridiquement incohérent de réprimer la détention finalisée à l’usage (c’est le cas de l’Italie). Sans imposer de sanctions pénales, ce pays a cependant introduit des sanctions administratives pour la détention non destinée à la vente17. L’Espagne est allée plus loin, en prévoyant des sanctions administratives aussi pour la simple consommation, mais seulement lorsqu’elle a lieu en public18. D’autres pays ont en revanche aggravé la criminalisation des consommateurs. La Suède, par exemple, a incriminé directement la consommation en 198819. Un mouvement de dépénalisation, voire de décriminalisation20, se manifeste cependant vers la fin des années 1990 : le Portugal décriminalise l’usage, l’achat et la détention de toute substance (loi du 29 novembre 2000), qui sont désormais frappés uniquement de sanctions administratives. Au Luxembourg, le poids de la répression de l’usage des substances interdites est atténué par une loi du 27 avril 2001 ; en particulier, la consommation et la détention de cannabis pour usage personnel seront frappés de seules sanctions pécuniaires et non plus de peines privatives de liberté. En Belgique, une loi de 2003 décriminalise l’usage en groupe21 et vise (de manière maladroite, comme nous le verrons) à dépénaliser la détention de cannabis pour usage personnel. Si l’on prend les désormais 25 pays de l’Union européenne, les législations actuellement en vigueur sont toujours disparates22. Le traitement légal de l’usage fait l’objet d’une palette de choix allant de la non prise en compte par la loi (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni23), à l’incrimination directe (Grèce, France, Finlande, Suède), en passant par l’application de sanctions administratives (Portugal), éventuellement seulement dans certains cas, comme en Espagne24. La détention de substances destinées à la consommation personnelle fait aussi l’objet d’options législatives diversifiées25. La plupart des pays incrimine ce comportement, qui fait cependant l’objet de simples sanctions administratives en Italie, Espagne, Portugal, Lettonie, Lituanie et République Tchèque26, et d’exemption de poursuites (lorsque la quantité est minime) ou de peines (si les faits sont peu relevants) en Allemagne, ainsi que d’exemption de poursuites aux Pays-Bas27, où des quantités limitées de dérivés du cannabis peuvent d’ailleurs être légalement vendues et achetées dans les coffee-shops. En Grande-Bretagne, la détention d’héroïne sur prescription d’un médecin habilité n’est pas non plus poursuivie. Notons, par ailleurs, que des pratiques parfois importantes de classement par le ministère public (éventuellement sous condition) des affaires concernant la consommation ou la détention pour usage personnel (voire d’autres infractions perpétrées par des usagers) peuvent être constatées. Elles découlent soit du recours aux traitements médico-sociaux (qui représentent une alternative aux poursuites ou à la peine dans la plupart des pays), soit de l’application de législations plus générales (en matière de sursis ou de transaction, par exemple) ou de principes généraux (notamment lorsque le système pénal repose sur le principe de l’opportunité des poursuites).

1.2 Une inégalité devant la loi


Face à la mobilité croissante des citoyens, une telle situation pose problème. En effet, comment savoir à l’avance ce qui va arriver à l’usager qui traverse une ou plusieurs frontières avec des stupéfiants destinés à sa propre consommation ? Une telle incertitude viole la substance du principe de légalité des incriminations, qui impose l’existence d’une loi connaissable préalable à tout constat d’infraction, rendant prévisible l’application de la loi28 (cfr. § 1.3), condition qui peut être difficilement respectée dans un contexte où les législations (ainsi que leur mise en œuvre) sont si diversifiées. Il s’agit ici, toutefois, de l’un des points d’achoppement de la construction européenne. La liberté de circulation devrait s’accompagner du maintien des droits acquis (par exemple, celui de ne pas être poursuivi pour un certain comportement). Par conséquent, un consommateur ayant acquis un produit stupéfiant dans un pays qui n’en incrimine ni l’usage ni la détention aux fins de la consommation personnelle devrait pouvoir ne pas être incriminé s’il se déplace ensuite avec ce produit dans un autre pays de l’Union européenne. Cependant, si les usagers du pays de destination (ou de transit) devaient être poursuivis pour le même comportement, une telle option violerait un autre droit : celui à l’égalité devant la loi. La question de l’égalité de traitement – devant la loi pénale notamment – pose plus généralement problème à l’aune européenne, en raison de la diversité des législations pénales. Certes, la solution la plus raisonnable serait d’harmoniser ces législations, ce que permet d’ailleurs d’imposer, depuis 1999, l’instrument de la décision-cadre. Cependant, cet instrument est prévu – et il a été utilisé ainsi, jusqu’à présent tout au moins – pour imposer l’adoption d’incriminations et l’aggravation des peines, et non pas l’alignement sur un choix de non-incrimination29. On peut, dès lors, craindre les résultats d’une harmonisation législative du traitement réservé à l’usage ou à la détention pour usage personnel, qui aggraverait la situation des consommateurs.

1.3 La violation du principe de légalité


Le principe de légalité des incriminations et des peines30, principe fondamental du droit pénal dans les pays de droit continental – et désormais aussi reconnu dans les pays européens de common law, en raison notamment des effets de la Convention européenne des droits de l’homme –, vise, notamment, à garantir que les lois pénales – et en particulier les dispositions de droit matériel31– soit non seulement accessibles, mais aussi assez claires et précises pour que tout citoyen puisse prévoir les conséquences de ses actes, en sachant quels sont les comportements interdits et sanctionnés32. Or, en matière d’usage de drogues tout particulièrement, ce principe n’est pas toujours respecté non seulement dans le contexte européen, mais aussi à l’intérieur des pays membres, ce qui provoque d’ailleurs des inégalités de traitement des usagers face à la loi. D’une part, le discours politique contribue parfois à fourvoyer les destinataires de la loi, comme cela a été le cas en Suisse et en Belgique, où des annonces de dépénalisation ou de décriminalisation de l’usage de cannabis, émises par le pouvoir politique, ont été largement répercutées par les médias sans être suivies de révisions législatives appropriées33. D’autre part, les dispositions légales adoptées sont parfois confuses et, donc, incompréhensibles. On peut citer comme exemple la nouvelle loi belge du 3 mai 2003, dont une disposition centrale a été annulée par la Cour d’arbitrage34 pour violation du principe de légalité. Le législateur a introduit, dans la loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, désinfectantes et antiseptiques un nouvel article 11 ainsi libellé : « en cas de constatation de détention, par un majeur, d’une quantité de cannabis à des fins d’usage personnel, qui n’est pas accompagnée de nuisances publiques ou d’usage problématique, il ne sera procédé qu’à un enregistre- ment policier. » La Cour d’arbitrage35 a considéré que, en dépit de la définition donnée par la loi36, les notions utilisées par cette disposition (usage problématique et nuisances publiques) « sont à ce point vagues et imprécises qu’il est impossible d’en déterminer la portée exacte » ; par conséquent, la disposition ne satisfait pas aux exigences du principe de légalité. En ce qui concerne la loi française, Bisiou et Caballero considèrent que le principe de légalité est violé par le recours à la technique du renvoi législatif externe (et multiple), qui rend difficile l’accès aux dispositions, et ensuite la compréhension de leur contenu et, par conséquent, la prévisibilité de leur conséquences. Ces auteurs notent, par ailleurs, que l’imprécision des textes, et notamment la possibilité de concours de qualifications entre usage et trafic, induit aussi une violation du principe d’égalité devant la loi, dès lors que, à situation identique, un consommateur pourra soit être sanctionné comme usager, soit comme trafiquant ; avec des différences considérables de peines d’ailleurs37, ce qui introduit une violation du principe de proportionnalité des peines et des infractions, dès lors qu’un usager peut être puni des peines prévues pour la trafic38.

1.4 Des alternatives imposées


Les usagers ayant une double image de délinquants et de malades, des alternatives thérapeutiques aux poursuites ou à la peine, soumises à l’acceptation de l’usager, sont prévues par la plupart des législations européennes39. Marie-Sophie Devresse a épinglé, pour la Belgique (mais cette remarque vaut plus en général), que ce type de gestion pénale « contractuelle » (mais asymétrique) de l’usage de drogues amène à demander à des personnes particulièrement vulnérables, ou en situation de grande précarité, de faire preuve d’autonomie et de responsabilité : d’arrêter de consommer, de rompre avec leur milieu, de trouver un travail… ce qui pose particulièrement problème lorsqu’aucun véritable dispositif n’est mis en place pour aider l’usager à formuler un projet et à le mettre en œuvre40 (soit, à notre connaissance, dans la plupart des cas). En même temps, on le soumet à l’épée de Damoclès de l’exercice des poursuites et/ou de la condamnation s’il échoue dans ses engagements. C’est ainsi la menace de la sanction, et non un véritable processus de responsabilisation, qui guide inévitablement le choix des usagers devenus cibles de la justice pénale41 : « la plupart du temps, les consommateurs ne voient pas comment il leur serait possible de refuser ou de se soustraire aux propositions qui leur sont faites, si ce n’est en assumant le risque d’une répression accrue42. ».

1.5 Soigner les plus sains et réprimer les plus malades…


Un paradoxe juridique La possibilité d’éviter les poursuites ou la peine en acceptant de suivre un traitement est souvent limitée pour les usagers, soit parce qu’elle est permise seulement pour certaines infractions (ou en dessous de certains seuils de peines), soit parce qu’elle est exclue en cas de récidives. Au-delà des textes législatifs, l’attitude des magistrats intervient aussi pour limiter ultérieurement l’accès à ces dispositifs. Ainsi, par exemple, la présence d’antécédents lourds peut empêcher l’accès à la thérapie43. Les alternatives semblent ainsi être plus facilement destinées aux consommateurs occasionnels ou dont l’état de dépendance est récent, alors que ceux qui sont plus fortement dépendants de leur substance – c’est-à-dire ceux qui ont le plus besoin d’aide – seront plus facilement effectivement sanctionnés. Le droit à la santé est ainsi plus gravement lésé pour ces usagers, au profit d’une répression à laquelle ne reste qu’une connotation punitive. Si certains croient dans l’effet dissuasif des peines à l’égard des délinquants primaires, il est certain que la peine ne produira aucun effet pour l’usager fortement dépendant, si ce n’est d’aggraver sa situation. Notons enfin – ce qui introduit un élément flagrant d’inégalité de traitement – qu’il ne semble pas exister « d’autre cas où le risque pris par un individu pour sa santé, sans aucun trouble à l’ordre public, soit passible d’une peine de prison44. ».

1.6 Le déni de la liberté de choix


Si le cadre juridique répressif limite les droits des consommateurs, l’absence de répression ne les garantit pas non plus. Même dans les pays qui ne sanctionnent ni l’usage ni la détention aux fins de l’usage, nous ne trouvons jamais l’affirmation d’un véritable droit de consommer. En effet, non seulement des sanctions administratives sont prévues pour l’un et/ou l’autre comportement, mais, plus généralement, le recours au marché noir, avec tous les dangers que cela comporte (produits frelatés, mais aussi chantage de la part des dealers lorsque les acheteurs veulent arrêter…), reste un choix obligé, à de rares exceptions près45. Dans la plupart des pays, c’est-à-dire tous ceux qui incriminent tout au moins la détention pour usage personnel, le choix de consommer n’est pas libre: l’abstinence est le seul choix réellement permis et on attend des usagers qu’ils soient à même d’arrêter leur consommation46. Or, nous sommes confrontés, en amont, à la non-reconnaissance d’un droit subjectif, dont l’existence semble pourtant confirmée, a contrario, par les systèmes législatifs en vigueur : le droit de ne pas consommer. Expliquons-nous. Parmi les droits que certains considèrent bafoués par les politiques répressives se trouvent les libertés individuelles. « Le fait de pénaliser ce type de comportements [l’usage solitaire et volontaire par une personne majeure] porte atteinte à plusieurs libertés fondamentales : droit de faire ce qui ne nuit pas à autrui, droit de chacun sur son propre corps, droit au respect de la vie privée, inviolabilité du domicile, bref la liberté prise dans ses composantes les plus essentielles47. » En France, par exemple, le principe affirmé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, considérant que seules peuvent être défendues les actions nuisibles à la société (art. 5), est ainsi bafoué48. Certains ont alors affirmé qu’il faut reconnaître aux usagers le droit de s’autodéterminer librement, y compris dans leurs choix de consommation. Les auteurs ne prennent généralement en compte que l’aspect positif – le droit de consommer – et lient essentiellement la reconnaissance de ce droit à l’élimination des politiques répressives, puisque l’incrimination de la consommation ou de la détention en empêche la jouissance. Toutefois, pour que les individus bénéficient du respect des droits liés à leur liberté et à leur vie privée, il ne suffit pas d’éviter les interdictions légales. Il faut aussi agir en amont, afin d’assurer les conditions d’un libre choix, qui inclut aussi celui de ne pas consommer. Pour qu’il soit libre, un tel type de choix requiert le respect de deux conditions : a) que les individus ne se trouvent pas dans des situations qui les poussent fortement à consommer, et b) qu’ils disposent des informations suffisantes pour se déterminer en connaissance de cause.
 
Ces conditions ne sont pas remplies indépendamment du cadre légal, répressif ou tolérant.
 
a) Pour une partie des usagers – par exemple ceux qui consomment pour faire face à la misère dans laquelle ils vivent ou aux difficultés de leur vie professionnelle, garantir le libre choix de leur consommation, voire de leur dépendance, signifie d’abord garantir des conditions de vie – sociales et économiques – qui ne les obligent pas à consommer des drogues pour les affronter ou les fuir.
 
Or, la jouissance des droits socio-économiques fondamentaux est bien loin d’être acquise pour tous, tandis que les nouvelles conditions du monde du travail favorisent le recours aux substances psychotropes, licites ou illicites (cf. § 3).
 
b) À l’époque de l’information en temps réel, le droit à l’information est pourtant limité dans le domaine des produits stupéfiants, sauf dans de rares cas, comme aux Pays Bas. Dans des pays tels que la France, qui incriminent directement l’usage, l’information est entravée par le fait qu’elle peut être considérée comme une incitation à l’usage, comportement faisant aussi l’objet d’incrimination49. La diffusion de l’information est ainsi limitée par le cadre répressif. Notons cependant que même dans des pays plus tolérants, la consommation de drogues est considérée comme un comportement négatif ou comme une maladie. Dès lors, des réticences à l’égard de la diffusion des informations concernant ces produits subsistent : si on n’incrimine pas les usagers, on ne veut pas pour autant risquer de les inciter à consommer.

1.7 Une répression centrée sur les consommateurs


Les consommateurs de stupéfiants semblent, par ailleurs, courir un plus grand risque de poursuites que les auteurs d’autres infractions, et beaucoup plus important que celui encouru par les trafiquants.

1.7.1 La concentration de la répression


Les statistiques criminelles disponibles en 1999 tendaient à montrer que, dans les pays européens où la consommation est réprimée directement ou indirectement (via la détention), l’activité de la police relative aux stupéfiants se concentrait en majorité, voire pour l’essentiel, sur la poursuite des consommateurs50. En 2005 encore, on constate que « dans la plupart des États membres de l’UE, la majeure partie des infractions signalées à la législation antidrogue concerne toujours l’usage ou la possession de drogue pour usage personnel51 » ; cette proportion a augmenté entre 1998 et 2003 et le cannabis reste la principale substance concernée52. En France, par exemple, cette augmentation se concentre sur le cannabis : alors que l’évolution des interpellations relatives à d’autres substances a diminué entre 1995 et 2004, en passant de 15 787 à 9 57353, le nombre d’interpellations pour cannabis est passé de 40 000 environ en 1995 à un peu plus de 90000 en 200454. Notons, cependant, que les statistiques judiciaires européennes montrent un nombre plus limité de condamnations pour usage (du moins pour la période précédant 1999)55. Plusieurs recherches ont été menées dans les pays de l’Union européenne à la fin des années 1990. Elles faisant état, en 1998-1999, d’un taux d’incarcération des usagers de drogue allant de 19% à 56%56. Les incarcérations s’expliquent moins en raison de l’usage (bien que des condamnations à une peine de prison ferme sur la base de la seule infraction d’usage aient été répertoriées en France57, par exemple) que de la possibilité de qualifier la détention comme étant destinée à la revente et non à la consommation, ainsi que des autres infractions commises par certains consommateurs. En 2005, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies constate une sur-représentation des consommateurs de drogues dans la population carcérale par rapport à la population générale58: on constate la prévalence de la consommation (de cannabis surtout) au cours de la vie chez plus de 50% de détenus dans la plupart des pays, et la prévalence au cours de la vie de l’usage par voie intraveineuse chez 15% à 50% des individus incarcérés ; la prévalence de l’usage régulier de drogue ou de la dépendance avant la détention varie entre 8 et 73%59. Au-delà des raisons de politique criminelle, de priorités policières, de facilité de repérage, qui peuvent expliquer la criminalisation particulière de certaines catégories d’usagers, des facteurs plus spécifiques existent. Non seulement les consommateurs, notamment ceux qui sont fortement dépendants et/ou marginalisés, se trouvent souvent dans des espaces publics (ne serait-ce pour acheter de la drogue), mais leur apparence trahit parfois leur condition (d’usagers et/ou de marginalisés). Par conséquent, ils sont plus visibles que d’autres catégories de consommateurs ou de dealers et trafiquants qui ne sont pas en même temps consommateurs. Par ailleurs, des recherches ont montré que les individus ayant des antécédents pour infractions à la loi sur les stupéfiants sont interpellés plus souvent que d’autres lors de contrôles policiers non liés à la constatation d’un délit60.

1.7.2 Une répression instrumentale


Or, la principale motivation qui a mené les rédacteurs de la convention de Vienne a préconiser la répression des consommateurs était la volonté de disposer d’une menace permettant d’obtenir de ces derniers des informations utiles pour remonter les filières du trafic61. Un tel procédé législatif viole cependant à la fois un droit fondamental – l’égalité de traitement – et un principe fondateur du droit pénal, prévoyant que la responsabilité pénale est personnelle. Ce principe interdit de poursuivre un comportement dans le but de rendre efficace la répression d’un tiers, pour des faits différents. De plus, ce principe étant respecté pour l’ensemble des autres incriminations, sa violation dans le domaine des stupéfiants introduit une inégalité de traitement entre les usagers de drogue et tous les autres infracteurs potentiels de la loi. Ce constat est d’autant plus navrant que les recherches réalisées à ce sujet mettent en cause l’utilité effective des informations provenant des usagers en tant qu’instruments de lutte contre le trafic62. On peut considérer que l’accroissement et l’internationalisation du trafic et l’impuissance à l’éradiquer ont favorisé cette violation des droits des consommateurs. Cependant, ces derniers font, plus généralement, l’objet d’un traitement légal particulièrement défavorable.

1.8 Des inégalités socio-juridiques


Tant par la mise à l’index des produits que par la structure de la répression, le cadre légal qui régit le domaine des stupéfiants provoque des inégalités flagrantes non seulement dans le cadre de la répression pénale, mais aussi parce qu’il met certaines catégories d’usagers dans une condition de vulnérabilité particulière.

1.8.1 Un cadre légal vecteur de vulnérabilité


À l’instar des résultats de recherches de terrain, les analyses préconisant des politiques de réduction des risques ont souligné à plusieurs reprises, à juste titre, que plusieurs des conséquences généralement attribuées à la prise des produits dérivent en fait des conditions et des modalités dans lesquelles l’usage a lieu. Baratta incitait ainsi à ne pas confondre les risques dérivant des substances (effets primaires) avec les risques dérivant des politiques (effets secondaires)63. En France, la Commission Henrion constatait que « la loi a pour effet de soumettre l’ensemble de la population des toxicomanes à une pression de la part des services de police et de gendarmerie, pression qui incite à la clandestinité et aggrave les périls engendrés par la toxicomanie64. ». Il y a dix ans, l’une des médecins les plus engagées dans des activités d’aide aux usagers de drogues écrivait : « J’accuse les gouvernements qui ont prohibé et prohibent encore l’usage de la méthadone et la distribution de seringues de non-assistance à personne en danger : à cause d’eux, le sida et l’hépatite contaminent des individus qui seraient prêts, si on leur donnait les moyens, à lutter avec nous contre la propagation de ces maladies. À cause d’eux encore, des consommateurs de drogues qui auraient pu être aidés sont livrés à la loi de la rue, à la misère, à la violence et à la mort65. » Depuis lors, la mise en place de politiques de réductions des risques a amélioré la situation d’une partie des usagers, mais n’a pas réussi, jusqu’à présent, à leur restituer des conditions de vie « normalisées », c’est-à-dire fondées sur le respect des différences66. Dès lors que des programmes tels que la prescription d’héroïne en Suisse ont montré des résultats satisfaisants en termes de socialisation et de santé des usagers, mais aussi de diminution de leurs activités délictueuses67, on peut en conclure qu’une partie de consommateurs de stupéfiants sont mis artificiellement, par la loi, dans une situation défavorisée, ce qui entraîne une rupture du principe d’égalité à l’égard des citoyens non consommateurs. Certains pays semblent d’ailleurs le reconnaître implicitement, dès lors qu’ils ont décidé de réduire l’emprise pénale sur les usagers, comme nous l’avons constaté, et de développer des politiques de réduction des risques.

1.8.2 La prison comme facteur de vulnérabilité


On a souligné les effets négatifs directs de la répression sur les consommateurs, notamment de l’application de peines privatives de liberté. Si les effets de limitation (ultérieure) de l’accès aux droits socio-économiques et à la santé, découlant de l’emprisonnement, concerne l’ensemble des détenus, des effets spécifiques aux toxicomanes ont aussi été constatés: prolongation, voire échec, des processus de sortie de la dépendance engagés dans le cadre d’un traitement, risques d’overdoses à la sortie de prison  en raison de la reprise de la consommation après un sevrage forcé68 et, pour les individus qui trouvent à consommer en prison69, risque d’engagement dans une carrière de dealer à la sortie afin de rembourser le fournisseur70. La Commission Henrion remarquait, en France, que la prison peut aggraver les problèmes d’insertion sociale, de relation avec les proches, d’insertion professionnelle, ainsi que les problèmes de santé71. Malgré ces constats, et en dépit des dispositions de diversion existants, les peines privatives de liberté continuent d’exister et d’être appliquées aux usagers de drogues, même en raison du seul fait de leur consommation.

1.8.3 Quel droit à la santé pour les consommateurs précarisés ?


Dans le rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies de 199972, on constatait l’état dramatique des usagers qui se trouvent dans une grande précarité sanitaire et sociale : VIH et sida, hépatite C, pathologies diverses liées au mode de consommation clandestin, dépourvus d’une protection sociale adéquate, voire de toute protection sociale. Le tableau relatif aux maladies infectieuses contractées par les usagers de drogue (par voie intraveineuse notamment), établi en 2005 par l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, reste inquiétant73.

1.8.4 La réduction des risques : une amélioration des droits des consommateurs ?


Un changement de regard s’est produit à partir des années 1990, en raison de la diffusion du VIH et du sida. La découverte du fait que les usagers de stupéfiants par voie intraveineuse étaient particulièrement atteints a produit des modifications, parfois substantielles, des politiques concernant les consommateurs. Des pratiques, puis des politiques de réduction des risques ont commencé à être développées, pour faire l’objet plus tard, dans certains pays, de législations ad hoc74.
 
Ces politiques tendent à reconnaître certains droits aux consommateurs visant, entre autres, à mieux protéger leur droit à la santé75. D’une part, on a affirmé le droit des usagers à être informés sur les effets des produits qu’ils consomment, y compris pour les produits interdits, afin de connaître les principaux risques sanitaires que ceux-ci provoquent, ainsi que la manière la moins risquée de les utiliser. D’autre part, la possibilité d’accéder légalement aux produits dits de substitution réduit non seulement les risques de consommation de substances frelatées, mais aussi le besoin de commettre des infractions pour acheter des produits illicites. Par ailleurs les politiques de réduction des risques ont entendu viser plus globalement une amélioration de la condition de l’usager sous différents aspects, par la mise en place de dispositifs à bas seuil par exemple. La conception des politiques de réduction des risques reste toutefois en contradiction avec le cadre législatif essentiellement répressif concernant les produits, sinon les usagers, qui en a d’abord retardé76 la mise en œuvre et ensuite limité la portée77. C’est ainsi, par exemple, que, en France comme en Suisse, les usagers ont été interpellés en raison du seul port de seringue, indice de consommation78, et que, toujours en France, des salles d’injection ont été fermées et des médecins pratiquant la réduction des risques perquisitionnés79.

2. FLEXIBILITÉ, PERFORMANCE ET USAGE DE DROGUES


Si l’on considère, plus généralement, les développements de la précarité80, liée à des phénomènes tels que l’abandon progressif de l’État social, les délocalisations productives, la perte de garanties, la modification des conditions de travail, on peut considérer, en général, que la dégradation du contexte socio-économique (tout comme celle des repères et des valeurs) favorise le recours à des exutoires tels que la consommation de drogues. Quant aux modifications des conditions de travail, si le recours aux produits psychotropes (qu’elles favorisent) peut entraver l’insertion socio-professionnelle des consommateurs (droit au travail, § 2.1), elles peuvent aussi constituer un facteur d’incitation à la consommation pour des d’individus qui ne se trouvent pas en situation de précarité (droit du travail, § 2.1). Une telle situation rend difficile l’accès ou le maintien de l’emploi pour les usagers – du moins ceux dont la consommation ou la dépendance des drogues est visible –, alors que l’emploi représente une condition essentielle pour favoriser la « sortie de la toxicomanie81 ».

2.1 Droit au travail

Le « droit au travail » consiste dans le droit de disposer d’une activité rémunératrice permettant de subvenir à ses besoins fondamentaux. Or, dans un contexte général de chômage élevé, les conditions du travail actuelles risquent de limiter tout particulièrement l’accès à l’emploi des usagers de drogues82, dépendants ou pas. Les processus de sélection portent, en effet, de plus en plus sur l’aptitude à l’engagement personnel et à la productivité autonome, que l’usage de drogues est supposé limiter. Le champ relatif à l’intégration à l’emploi des usagers de drogues, moins connu en Europe, a fait l’objet de différentes recherches au Canada. Marie-France Maranda, qui a étudié les représentations sociales des responsables de l’embauche du personnel, constate que la « position défavorable à l’embauche de toxicomanes est prédominante dans les résultats83 ». Elle relève que la littérature pour managers les incite à dépister – pour les exclure – les employés qui pourraient présenter un problème pour l’entreprise (dont font partie les usagers de drogues et d’alcool). L’entretien d’embauche est central. Différents articles proposent un questionnaire comprenant des questions très directes et très intrusives dans la vie privée, et incitent à détecter des signes, indices, contradictions, ainsi qu’à recourir à sa propre intuition84. Dans une situation où même les cadres n’ont plus de garantie de la stabilité de leur emploi, c’est d’ailleurs, parfois, la peur de se mettre en danger soi-même qui peut amener à exclure des supposés toxicomanes85.

2.2 Droit du travail


Le droit du travail (au sens large) – c’est à dire les règles et les droits qui doivent être respectés dans le cadre d’une relation de travail – suppose l’établissement de bonnes conditions pour les travailleurs86. Ces conditions sont partout en train de devenir plus difficiles à affronter par ces derniers, sinon de se dégrader : « l’évolution des conditions de travail depuis quinze ans, qui prend surtout la forme d’un accroissement de la pression productiviste et d’une intensification des rythmes de travail, contribue à l’aggravation des contraintes physiques et psychiques87 ». Or, si le mot flexibilité cache la réalité de la précarité, droit au travail et droit du travail se relient : seuls auront accès à un emploi ceux qui se plieront à ses exigences88. Robert Castel écrivait que « mettre l’accent sur cette précarisation du travail permet de comprendre les processus qui alimentent la vulnérabilité sociale et produisent, en fin de parcours, le chômage et la désaffiliation89. » « Gestion en flux tendu, production à la commande, réponse immédiate aux aléas des marchés sont devenus les impératifs catégoriques du fonctionnement des entreprises compétitives. Pour les assumer, l’entreprise peut avoir recours à la sous-traitance (flexibilité externe) ou former son personnel à la souplesse et à la polyvalence afin de lui permettre de faire face à toute la gamme des situations nouvelles (flexibilité interne). » Dans le second cas, « c’est au prix de l’élimination de ceux qui ne sont pas capables de se hausser à la hauteur de ces nouvelles normes d’excellence90. ». Thomas Périlleux souligne que les nouvelles formes de conception de la gestion du travail salarial, parmi lesquelles la flexibilisation (soit : rien n’est jamais acquis), engendrent de nouvelles contraintes pour les travailleurs. En particulier, on assiste à de nouvelles formes de responsabilisation individuelle, qui engendrent une mise à l’épreuve constante, une difficulté à connaître les paramètres d’évaluation (non plus fondés sur la conformité aux standards, mais sur la performance individuelle), dont découle une inquiétude constante du travailleur91.
 
Ces nouvelles conditions semblent engendrer, plus que les précédentes, une impulsion vers la consommation de drogues ; dans les effets de ces substances, on cherche une aide soit pour assurer sa performance, aller au bout de soi-même, affronter la mise à l’épreuve continue, soit pour gérer les souffrances individuelles qui dérivent des (risques d’)échecs et de disqualification dans les mises à l’épreuve92. On peut ainsi considérer que les conditions de travail entravent le droit des travailleurs à ne pas consommer de drogues, licites ou illicites. Par ailleurs, les usagers dépendants sont de plus en plus considérés (au Canada tout au moins) comme des personnes présentant une incapacité (handicap) dont l’intégration au travail reste à réaliser. Notons cependant l’émergence d’une économie morale, ou éthique de l’entreprise, qui se concrétise, dans le domaine étudié, par la mise en place de programmes d’aide destinés aux employés qui présentent des problèmes de dépendance93.

CONCLUSION


 
Dans un article de 1991, plutôt critique à l’égard de l’incrimination de l’usage de drogue, Antoine Garapon écrivait que, « malade ou délinquant, chacun doit conserver des droits fondamentaux (…). Tous les droits ne sont pas comme emportés par le délit94 ». Intégrés dans l’objet de son article, ces propos se référaient notamment au consentement nécessaire pour tout type de traitement, médical ou réadaptatif ; ils expriment cependant un principe plus général, affirmant que les droits fondamentaux doivent être garantis pour tous, et que leur respect ne doit pas être emporté par une vision morale du droit pénal, qui assimile la personnalité à l’acte. Ici se situe toute l’ambiguïté du sort réservé aux « toxicomanes » : s’il est vrai que « en matière de drogue, surtout pour les usagers, il n’y a pas à proprement parler d’acte séparable d’un état général95 », alors le droit pénal n’est pas le lieu approprié pour appréhender cet état. La désignation d’une personnalité et non d’un acte comme pénalement illicite ne peut qu’induire le sentiment que, indignes d’une reconnaissance en tant qu’individus adaptés et moraux, les usagers de drogue ne méritent pas que leurs droits, comme ceux de tout individu, soient reconnus et protégés. Non seulement le traitement pénal de la question des stupéfiants, et en particulier celui réservé à la consommation et/ou la détention pour usage personnel, crée une situation dans laquelle les droits des consommateurs ne sont pas garantis, mais le droit à l’égalité de traitement rend, à notre sens, tout traitement pénal illégitime.
 
Les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination supposent que, à situation égale, les individus soient traités d’égale manière. Or, le fait de consommer des stupéfiants ne peut pas, à notre avis, représenter l’élément de différenciation permettant de justifier une disparité de traitement, et notamment l’incrimination de la consommation et les inégalités diverses qui en dérivent. Cela, non seulement puisque tous les consommateurs de substances pouvant s’avérer nuisibles pour le consommateur ne sont pas incriminés. Mais aussi car la répression des consommateurs en raison de leur consommation nie leur droit à la différence. Ce droit fondamental représente pourtant un élément constitutif de l’identité, notion établie dans les systèmes constitutionnels modernes, qui « garantit à chacun la prise en compte respectueuse de ce qu’il est, à l’exclusion de tout traitement juridique fondé sur des homologations forcées ou des stéréotypes abstraits96 ». Enfin, la pénalisation de l’usage ne peut pas être justifiée dès lors que la possibilité d’un choix différent de politique législative existe – une politique de réduction des risques au sens large, incluant l’accès réglementé aux produits – politique qui s’est montrée praticable et qui a donné de bien meilleurs résultats que la répression en se fondant, justement, sur l’aide au rétablissement des droits des consommateurs en tant que citoyens.

Références :


1. A. Baricco (Next, Paris, Albin Michel, 2002) souligne qu’il n’y a pas de réponse unique, établie et unanime à la question de savoir ce qu’est ou ce que l’on entend par globalisation. C’est pourquoi nous ne nous référons plus à cette notion polyvalente dans la suite du texte.
2. Paris, Seuil, 1972.
3. Torino, Einaudi, 1973.
4. J.-C. Grimal, Drogue: l’autre mondialisation, Paris, Gallimard, 2000.
5. P. Bairoch, Victoires et déboires, Paris, Gallimard, 1997.
EGUZKILORE – 19 (2005)
6. Pierre Kopp et Philippe Fenoglio (Le coût social des drogues en 2003. Les dépenses publiques dans le cadre de la lutte contre les drogues en France en 2003, Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 2006), estimaient que les dépenses des administrations publiques françaises imputables aux drogues illicites en 2003 s’élevaient globalement à 652,67 millions d’euros pour le Ministère de la Justice, les Douanes, la Gendarmerie nationale et la police nationale, à 248,66 mill. EUR pour le Ministère de la Santé, à 1,90 mill. EUR pour les Ministères de l’éducation nationale et de la jeunesse et sports. Des écarts remarquables ont plus généralement été constatés dans l’Union européenne, où la moyenne des dépenses relatives à l’application de la loi représente plus que le double de celle relative aux dépenses de santé publique (P. Kopp, Ph. Fenoglio, Public spending on drugs in the European Union during the 1990s. Retrospective research, EMCDDA, 2003).
7. M. L. Cesoni, Etude comparative sur les politiques législatives en matière de prévention des toxicomanies en Europe, Université de Genève, Travaux du CETEL, n° 39, 1993.
8. Des recherches existent cependant. Parmi les plus récentes, cf. notamment A. Fontaine, Usages de drogues et vie professionnelle, Paris, OFDT, 2002 ; Id., Double vie : les drogues et le travail, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2006; M.-H. Soulet, Gérer sa consommation. Drogues dures et enjeux de la conventionnalité, Fribourg, Ed. universitaires de Fribourg, 2002 ; Tom Decorte, Ecstasy in Vlaanderen : een multidisciplinaire kijk op synthetische drugs, Leuven, Voorburg, Acco, 2005.
9. Les recherches de Pascale Jamoulle (Drogues de rue. Récits et styles de vie, De Boeck et Larcier, 2000) présentent des trajectoires de vie où la drogue intervient dans un contexte préexistant de précarité sociale aiguë.
10. Notre article se limite par ailleurs au cadre européen. Nous ne visons pas non plus l’exhaustivité ; pour un approfondissement de la thématique, cf. Toxicomanie, citoyenneté et droits de l’homme, Marseille, Association méditerranéenne de prévention des toxicomanies, 1991 ; F. Caballero, Drogues et droits de l’homme, Paris, Ed. Délagrange – Synthélabo, 1992 ; Drogues et droits de l’homme, Genève, Ligue suisse des droits de l’homme, 1992 ; J. Silvis, A., Hendriks, N., Gilmore, Drug use and human rights in Europe, Report for the European Commission, Utrecht – Montréal, 1992 ; M. L. Cesoni, Prise en charge des usagers de stupéfiants, politiques de réduction des risques et fichiers, rapport pour le Forum Européen pour la sécurité urbaine (Paris) et la Commission européenne, 1995 ; Ligue des droits de l’homme, Drogues et droits de l’homme, Dossiers et documents, n. 29, 1996; M. Campedelli, L. Pepino, L. (Eds.), Droga: le alternative possibili, Torino, Ed. Gruppo Abele, 1997 (notamment les articles de de F. Maisto (Prime riflessioni per una « carta dei diritti » dei consumatori), de L. Pepino (Uso di droghe e diritti fondamentali) et de M. L. Cesoni (Consumo di stupefacenti e principio di uguaglianza).
11. A. Quadrio et al., Il problema della droga nella sociétà contemporanea. Indagine sull’opinione pubblica milanese, in Centro nazionale di prevenzione e difesa sociale, Droga e società italiana, Milano, Giuffrè, 1974.
12. Cfr les contributions présentées in Centro nazionale di prevenzione e difesa sociale, Droga e società italiana, Milano, Giuffrè, 1974.
13. P. Jamoulle, op. cit., pp. 33-34. EGUZKILORE – 19 (2005)
14. Ce phénomène, que nous constations pour la période précédant 1992 (cfr M. L. Cesoni, Etude comparative… op. cit.) et à nouveau en 2002 (M. L. Cesoni, Politiques européennes en matière d’usage de stupéfiants: les enseignements d’une comparaison, in Neuforge S. (Dir.), La Ville : carrefour d’une politique de prévention des toxicomanies, Bruxelles, Luc Pire, 2004) continue à se manifester, comme le constate le dernier rapport de l’OEDT (État du phénomène de la drogue en Europe, Rapport annuel 2005, pp. 24-25), qui présente plusieurs cas de dépénalisation, de réduction de peines et de nouvelle incrimination de la consommation et/ou détention pour usage personnel.
15. Préambule à la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et substances psychotropes du 19 décembre 1988.
16. M. L. Cesoni, L’incrimination de l’usage de stupéfiants dans sept législations européennes, Paris, Documents du Groupement de recherche Psychotropes, politique et société, n. 4, 2000. Cf. dans le même sens EMCDDA 2006, Illegal consumption of drugs and the law. International conventions (http://eldd.emcdda.europa.eu, consult. 5 sept. 2006).
17. La loi n° 162 du 26 juin 1990 introduisait en fait un système complexe qui pouvait finalement aboutir à des sanctions pénales, qui ont toutefois été abrogées suite à un référendum populaire de 1993.
18. Art. 25.1 Ley Organica 1/1992 sobre proteccion de la seguridad ciudadana du 21 février 1992.
19. H. Nilsson, La législation suédoise relative à la drogue, Bulletin de liaison du CNDT, n° 21, 1995, pp. 159-170. Notons cependant que la discussion relative à la criminalisation directe de l’usage (au début par l’application d’une amende, la peine de prison n’étant introduite qu’en 1993) a débuté en 1987, avant donc l’adoption de la Convention de Vienne (M. L. Cesoni, L’incrimination de l’usage de stupéfiants … op. cit.).
20. Par dépénalisation, nous comprenons les situations dans lesquelles la comportement reste illicite, mais exempté de peine ; par décriminalisation, le fait que le comportement ne constitue plus une infraction pénale.
21. Seule forme d’usage auparavant incriminée.
22. Remarquons que les documents de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, qui constituent notre source, ne présentent que la législation en vigueur dans une vingtaine de pays de l’UE.
23. À l’exception de l’opium en Grande Bretagne, dont l’usage est incriminé (bien que cette disposition ne soit apparemment plus appliquée) et des sanctions prévues pour l’usage dans certaines municipalités néerlandaises, finalisées à la protection de l’ordre public.
24. EMCCDA 2006, Illicit consumption of drugs and the law. Situation in EU member States (http///eldd.emcdda.europa.eu, consult. 21 sept. 2006).
25. Cfr EMCDDA 2006, Illegal possession of drugs (http://eldd.emcdda.europa.eu, consult. 5 sept. 2006).
26. La condition étant, dans la plupart des cas mentionnés, que la quantité soit limitée.
27. Aussi en cas de quantités limitées. En Belgique, suite à l’annulation par la Cour d’arbitrage de la disposition qui avait dépénalisé la détention de cannabis pour usage personnel, la détention est actuellement sanctionnée. Une nouvelle loi doit cependant être adoptée, qui devrait réintroduire une nouvelle – et plus claire – forme de dépénalisation.
28. Plusieurs décisions de la Cour européenne des droits de l’homme confirment ce principe (cfr pour toutes autres l’arrêt Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, série A, n° 316-B.
29. Le Traité sur l’Union européenne prévoit uniquement que la décision-cadre définisse les éléments mini- maux relatifs aux incriminations et aux peines (art. 31.1.e TUE), afin de rapprocher les législations des États membres (art. 34.2.b TUE). En considération des divergences existant dans les législations nationales, une interprétation large du traité (telle que la pratiquent déjà les institutions européennes…), mais qui serait cohérente, permettrait d’opter pour le modèle de tolérance choisi par un ou plusieurs pays et de considérer que les règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales consistent à … ne pas exister. Notons que le comportement qui nous intéresse sort a priori du champ d’application de l’article 31.1.e TUE. Nous avons en effet relevé que, en matière d’harmonisation des incriminations et des peines, la portée des dispositions du traité est limitée aux domaines prévus par l’article 31.1.e (soit la criminalité organisée, le terrorisme et le trafic de drogue), et nous maintenons cet avis (cfr M. L. Cesoni, Compétence pénale : la Cour de justice des Communautés européennes périme- t-elle le principe de légalité ?, Journal des tribunaux, 3 juin 2006, pp. 365-372). Cependant, si le Conseil de l’Union européenne continue d’adopter des décisions-cadres en dehors de ces domaines (comme il l’a déjà fait, en matière d’environnement par exemple), il pourrait agir de même en matière de consommation de drogue.
30. Affirmé par l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, le principe de légalité se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres de l’Union européenne (C.J.C.E., 12 décembre 1996, Procédures pénales contre X,0 C-74/95, Recueil, 1996, p. I-6609, § 25). Ce principe constitue par ailleurs un principe général de droit international (C. Bassiouni, Introduction au droit pénal international, Bruxelles, Bruylant, 2002).
31. Il est désormais reconnu que ce principe s’applique aussi en matière de procédure pénale.
32. Cfr CEDH, Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, Série A, n° 260-A.
33. En Suisse, le processus de révision de la loi fédérale sur les stupéfiants du 3 octobre 1951, amorcé au milieu des années 1990 et visant à décriminaliser la consommation et les actes préparatoires (y compris la culture) de la consommation de cannabis, n’a pas abouti à ce jour. En Belgique, dans une Note politique du Gouvernement fédéral relative à la problématique de la drogue du 19 janvier 2001, le gouvernement affirmait (p. 14) que « l’intervention pénale vis-à-vis du consommateur de drogues reste l’ultime recours. La mise en œuvre de l’appareil répressif n’est jugée opportune que lorsque le consommateur de drogues a com- mis des délits perturbant l’ordre social. (…) Mis à part les situations à risque spécifique, comme l’association de l’usage de drogues et la conduite de véhicules, la consommation de drogues en tant que telle ne doit pas donner lieu à une intervention pénale. » Après une telle affirmation, il était difficile de comprendre que –comme l’affirme sans cohérence la note gouvernementale– « la possession de drogues illégales reste punis- sable », y compris si elle est destinée à la consommation personnelle (p. 14).
34. Organe juridictionnel qui exerce le contrôle constitutionnel.
35. Arrêt n° 158/2004 du 20 octobre 2004.
36. L’usage problématique est l’« usage qui s’accompagne d’une dépendance qui ne permet plus à l’utilisateur de contrôler son usage, et qui s’exprime par des symptômes psychiques ou physiques » ; par nuisances publiques, il faut entendre les nuisances visées par la Nouvelle loi communale, ou la détention de cannabis commise dans une institution pénitentiaire, un établissement scolaire, les locaux d’un service social, dans leur voisinage immédiat ou dans d’autres lieux fréquentés par des mineurs d’âge à des fin scolaires, sportives ou sociales.
37. Selon qu’un même comportement soit qualifié d’usage ou de trafic, la peine privative de liberté encourue varie de un an d’emprisonnement à 10 ans d’emprisonnement, voire 20 ans de peine criminelle.
38. F. Caballero, Y. Bisiou, Droit de la drogue, Paris, Dalloz, 2000, pp. 550-554.
39. Cfr EMCDDA Treatment as an alternative to prosecution or imprisonment for adults (http://eldd.emcdda.europa.eu, consult. 5 sept. 2006).
40. M.-S. Devresse, « Le désert des tartares ». Attentes et incertitudes des usagers de drogues dans la justice pénale, in D. Kaminski, M. Kokoreff (eds.), Sociologie pénale : système et expérience. Pour Claude Faugeron, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2004.
41. Cfr les résultats de la recherche doctorale de M.-S. Devresse (Usagers de drogue et justice pénale, Bruxelles, De Boek et Larcier, 2006).
42. M.-S. Devresse, « Le désert des tartares »…, op. cit., p. 143.
43. « Ce sera très fréquemment le cas d’usagers d’héroïne qui ont souvent un curriculum pénal relativement chargé et qui, dans les représentations des magistrats, ne peuvent subvenir à leurs besoins que par une délinquance associée » (M.-S. Devresse, Usagers de drogue et justice pénale, op. cit., p. 79). 44. Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie (président H. Henrion), Paris, La Documentation française, 1995, p. 24.
45. Font partiellement exception de très rares pays, tels que les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et la Suisse, où certaines substances sont accessibles de manière légale.
46. Notons que, en l’absence de toute incrimination, on attend néanmoins, et de plus en plus, une même capacité des fumeurs de tabac.
47. F. Caballero, Y. Bisiou, op. cit., p. 547.
48. Pour un développement de ces critiques, cfr F. Caballero, Y. Bisiou, op. cit., pp. 547-554.
49. F. Caballero, Y. Bisiou, op. cit., p. 600.
50. Cfr M. L. Cesoni, L’incrimination de l’usage de stupéfiants dans sept législations européennes, Documents du Groupement de recherche Psychotropes, politique et société (Paris), n. 4, 2000; l’étude portait sur l’Allemagne, l’Espagne, la France, la Grande Bretagne, l’Italie, les Pays-Bas et la Suède.
51. OEDT, Rapport annuel 2005, précité, p. 84.
52. Ibid., p. 85.
53. OFDT, Séries statistiques, Interpellations pour usage d’héroïne, cocaïne/crack, ecstasy et autres substances (hors cannabis).
54. OFDT, Séries statistiques, Interpellations pour usage de stupéfiants (dont cannabis) et usage de cannabis. Évolution depuis 1990.
55. Aux États-Unis, à la même époque, on constatait en revanche qu’un contrevenant sur quatre à la législation sur les stupéfiants était condamné pour simple possession, souvent d’une faible quantité de stupéfiants (S. Brochu, P. Schneeberger, Drogue et délinquance : regard sur les travaux nord-américains récents, Paris, Documents du CESAMES (Centre de recherche psychotropes, santé mentale, société), n° 9, décembre 2001, qui citent un rapport de Human Rights Watch de 1999, Who goes to prison for drugs offences?).
56. OEDT, Proportion des consommateurs de drogues en milieu carcéral dans las pays de l’U.E., document annexé au rapport annuel de 2001. Notons que, aux États-Unis, à la fin des années 1990, un détenu sur quatre avait été condamné pour une infractions à la législation en matière de stupéfiants (S. Brochu, P. Schneeberger, op. cit., qui citent une étude de 1998). selon le Bureau of Justice Statistics, 70% des détenus américains auraient été soit des condamnés pour infractions aux dispositions en matière de stupéfiants, soit des consommateurs réguliers de ces substances (S. Brochu, P. Schneeberger, op. cit. qui citent des données de 1999 de ce Bureau (Drug use and crime. Drugs and crime facts)).
57. OFDT, Drogues et dépendances. Indicateurs et tendances 2002, Paris, 2002.
58. OEDT, Rapport annuel 2005, précité, p. 85.
59. EMCDDA Statistical bulletin 2005 (Studies of drug users in prison. Overview of the data).
60. Pour la France, cfr M.-D. Barré, T. Godefroy, C. Chapot, op. cit. Un constat similaire a été effec- tué pour la Grande-Bretagne (Drug misuse in Britain 1994, Londres, ISDD, 1994) et la Suède (T. Boekhout van Solinge, The swedish drug drug control system. An in-depht review and analysis, Amsterdam, METS- CEDRO, 1997).
61. M. L. Cesoni, L’incrimination de l’usage de stupéfiants… op. cit.; EMCDDA 2006, Illegal consumption of drugs and the law. International conventions (http://eldd.emcdda.europa.eu, consult. 5 sept. 2006).
62. M. L. Cesoni, N. Bornoz, B. Sträuli, Mise en œuvre de la Loi fédérale sur les stupéfiants. Les décisions judiciaires, Rapport de recherche à l’intention de l’Office fédéral suisse de la Santé publique, Genève, 1998 ; ainsi que M. D. Barré, T. Godefroy, C. Chapot, Le consommateur de produits illicites et l’enquête de police judiciaire, Paris, Observatoire français des drogues et des toxicomanies – CESDIP, 2000. Les informations provenant des consommateurs se sont en revanche avérées utiles pour les enquêtes en Suède, où le gouvernement a cependant mis en place un système incitatif, qui prévoit la rémunération du service rendu aux forces de l’ordre (T. Boekhout van Solinge, op. cit.).
63. A. Baratta, Une politique rationnelle des drogues ? Dimensions sociologiques du prohibitionnisme actuel, Déviance et société, n° 2, 1990, pp. 157-178.
64. Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie, op. cit., p. 24. Cfr aussi S. Brochu, P. Schneeberger, op. cit.
65. A. Mino, S. Arsever, J’accuse les mensonges qui tuent les drogués, Paris, Calmann-Lévy, 1996, p. 9.
66. Isabelle Stengers et Olivier Ralet (Drogues le défi hollandais, Paris, Laboratoires Delagrange, coll. Les empêcheurs de penser en rond, 1991, p. 95) remarquaient que le mot néerlandais normalisation ne s’oppose pas au « droit à la différence », mais s’applique à une situation dans laquelle « rien n’est plus normal que la diversité ».
67. Cfr A. Uchtenhagen, F. Gutzwiller, A. Dobler-Mikola (eds.), Essais de prescription médicale de stupéfiants. Rapport final des mandataires de la recherche, Zurich : Institut für Suchtforschung – Institut für Sozial und Präventivmedizin der Univ. Zürich, 1997.
68. Plusieurs constats ont été effectués à ce propos. Cfr pour tous Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie, op. cit., p. 26.
69. S. Brochu et P. Schneeberger (op. cit., p. 51) remarquaient que « beaucoup de jeunes nord-américains se trouvent en prison suite à leur toxicomanie. L’enfermement de ces personnes répond toutefois très mal à leurs besoins de traitement, à supposer qu’il existe, et a pour effet de contribuer à étendre leur répertoire de comportements déviants sans, en contrepartie, offrir des bénéfices aux toxicomanes ou à la société ».
70. « Des drogues circulent à l’intérieur des prisons et sont vendues, souvent sous contrainte ou chantage; Le paiement peut avoir lieu soit à l’extérieur de la prison, soit à l’intérieur (…). Le refus ou l’impossibilité de remplir ses obligations financières, le refus de collaborer au circuit de la drogue est sanctionné par les trafiquants, éventuellement par la violence physique (N. Lauwers, F. Van Mol, La réalité pénitentiaire en matière de drogues, in Drogues et prison, Dossiers de la Revue de droit pénal et de criminologie, Bruxelles, La charte, 1995, p. 33). Cfr aussi Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie, op. cit., p. 26. Sans compter, bien sûr, ceux qui démarrent leur consommation en prison.
71. Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie, op. cit. p. 26.
72. OEDT, Rapport annuel sur l’état du phénomène des drogues dans l’Union européenne, 1999.
73. OEDT, Rapport annuel 2005, précité, pp. 67-71.
74. Ibid., pp. 23-24.
75. « La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie et d’invalidité. » (Organisation mondiale de la santé, Glossaire de la promotion de la santé, Genève, 1999, p. 1. Cf. aussi O.M.S., Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, 1986).
76. Serfaty, A., Prevention strategies for HIV and legal sanctions against drug use, communication à la VIII Conférence internationale sur le SIDA, Amsterdam, juillet 1992).
77. Sur la contradiction entre réduction des risques et répression, cfr aussi Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie, op. cit. p. 65.
78. M. L. Cesoni, Etude comparative… op. cit. Notons que ce type de pratiques policières incite les usagers à se débarrasser sans précautions du matériel d’injection, ce qui augmente les risques de contamination accidentelle de tiers.
79. F. Caballero, Y. Bisiou, op. cit., p. 600.
80. En France, une étude du CREDOC portant sur la période 1979-1988 constatait une amélioration de la situation générale de la population mais, simultanément, l’accroissement de l’écart entre groupes extrêmes et majorité de la population. Moins de 10% de la population étaient plus isolés qu’auparavant, soit les groupes plus marginaux. Une telle évolution était observable dans la plupart des pays occidentaux (J. Affichard, Introduction. Inégalités et principes de justice, in J. Affichard, J.-B. de Foucauld, Justice sociale et inégalités, Paris, Ed. Esprit, 1992). Notons que le dernier Rapport sur la situation sociale dans le monde en 2005, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, met l’accent sur les inégalités existant entre les pays et dans chaque pays, soit « l’écart croissant entre les travailleurs qualifiés et non qualifiés, le clivage entre les secteurs structuré et informel et les disparités croissantes sur les plans de la santé, de l’enseignement et de la participation à la vie sociale et politique » (préface). Or, on peu considérer que les populations de « toxicomanes » font partie des groupes plus marginaux.
81. R. Castel, Les sorties de la toxicomanie, Fribourg, Ed. universitaires de Fribourg, 1998.
82. C’est ce que confirment les recherches de Marie-France Maranda au Canada (cfr M.-F. Maranda, L. Negura, M.-J. De Montigny, L’intégration en emploi des toxicomanes : représentations sociales des cadres responsables de l’embauche du personnel, in M. L. Cesoni, D. Kaminski (eds.), Les drogues au travail, Déviance et société, numéro thématique, 2003), ainsi que l’étude exploratoire effectuée en Belgique par J.- Ph. Gilain (Les représentations sociales de l’employeur à l’égard des usagers de marijuana, Université catholique de Louvain, Mémoire de licence en criminologie, 2006).
83. M.-F. Maranda, L. Negura, M.-J. De Montigny, op. cit., p. 277.
84. Ibidem. Dans l’impossibilité d’être exhaustive, nous n’aborderons pas ici les questions liées aux tests de dépistage, qui touchent pourtant le domaine des droits individuels. Pour une présentation des législations existantes, cfr EMCDDA 2006, Legal status of drug testing in the workplace, http://eldd.emcdda.europa.eu, consult. 5 sept. 2006.
85. Un cadre responsable de l’embauche du personnel affirmait, par exemple : « si on ne fait pas le job (la sélection, la discipline…), bien demain matin il n’y aura plus de clients. Ça veut dire que tu n’es pas payé et moi, je ne suis pas payé. La personne qui commence à être détraquée (…) n’a pas sa place ici. » (M.-F. Maranda, L. Negura, M.-J. De Montigny, op. cit., p. 275). Un autre remarquait que « le supérieur immédiat, lui, n’apprécie pas de voir quelqu’un qui risque de contaminer… qui risque de créer des problématiques. » (Ibid., p. 277).
86. Ce principe est parfois imposé par la loi (cfr la loi belge du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail, qui affirme, dans son article 4 § 1, que « Le Roi peut imposer aux employeurs et aux travailleurs toutes les mesures nécessaires au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail. »).
87. M. Loriol, Le temps de la fatigue. La gestion sociale du mal-être au travail, Paris, Anthropos, 2000, p. 15.
88. Dans les années 1980, l’accent a été mis, en matière de politiques de travail et de rapports industriels, sur la nécessité de rendre flexibles aussi bien le travail que les salaires. L’économiste italien Sergio Bruno, soulignait que « ceci implique presque toujours d’invoquer l’arbitraire dont jouissent de plus en plus les entreprises à l’égard des travailleurs, sur le plan de la sélectivité au moment de l’embauche, dans les relations du travail (mobilité interne et carrières) et à la sortie (licenciements, gestion négociée des sureffectifs) » (S. Bruno, La flexibilité : un concept contingent, in M. Maruani, E. Reynaud, C. Romani (eds.), La flexibilité en Italie, Paris, Syros alternatives, 1989, pp. 33-34).
89. R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995, p. 401.
90. Ibid., pp. 402-403.
91. Th. Périlleux, La subjectivation du travail, in M. L. Cesoni, D. Kaminski (eds.), Les drogues au travail, Déviance et société, numéro thématique, 2003.
92. Cfr M. L. Cesoni, D. Kaminski (eds.), Les drogues au travail, Déviance et société, numéro thématique, 2003. Pour une présentation des recherches nord-américaines qui s’intéressent aux caractéristiques du travail en tant que facteurs de risque induisant une surconsommation de drogues ou d’alcool, cfr M.-F. Maranda, P. Morissette, La problématisation de l’alcool et des drogues en milieu de travail, in D. Harrisson, C. Legendre, dir., Santé, sécurité et transformation du travail, Québec, Presses de l’université de Québec, 2002).- Notons que cette caractéristique a été aussi attribuée à certains postes de travail taylorisés. Cfr aussi M. Loriol, op. cit.
93. M.-F. Maranda, L. Negura, M.-J. De Montigny, op. cit.
94. A. Garapon, Le toxicomane et la justice : comment restaurer le sujet de droit ? in A. Ehrenberg (dir.), Individus sous influence. Drogues, alcools, médicaments psychotropes, Paris, Editons Esprit, 1991, p. 304.
95. A. Garapon, op. cit., p. 302.
96. L. Pepino, Usi di droghe e diritti fondamentali, in M. Campedelli, L. Pepino (eds.), Droga: le alternative possibili. Analisi, esperienze e proposte per nuove politiche, Torino, Ed. Gruppo Abele, 1997, p. 62 (nous traduisons).

 

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