Pour la fin du cannabis hors-la-loi

 

Après plus d’une décennie de guerre totale aux drogues aux Etats-Unis, le coût de ce combat est évalué à 40 milliards de dollars par an et ce coût est d’autant plus lourd que les incarcérations massives ne limitent ni la consommation ni le trafic. Il faut changer la politique des drogues en commençant par le plus simple : dépénaliser l’usage de cannabis. 13 Etats l’ont déjà fait et 37 autres s’y préparent. Le problème du trafic reste entier : la violence, les meurtres, la corruption engendrés par la guerre à la drogue font du Mexique un pays dévasté, et ces menaces pèsent désormais sur le sud des Etats-Unis. La guerre à la drogue est un échec, Peter Reuter, professeur de criminologie aux Etats-Unis en a fait récemment la démonstration dans un rapport rendu à la Commission européenne. Un changement radical de cette politique n’est pas possible dans l’immédiat et le rapport Reuter n’aboutit pas à des recommandations précises. Du moins peut-on éviter de s’engager trop avant dans l’escalade.

Loin de tirer les leçons de cet échec, la France s’applique à le reproduire : interpellations massives des consommateurs, sanctions systématiques, comparutions immédiates, peines plancher. Nous nous engageons chaque jour davantage dans une sale guerre qui se mène en silence. Le discours officiel est celui, consensuel, de la santé publique, et l’on dit volontiers que l’usage serait dépénalisé de fait, mais en 2008, il y a eu 172 964 interpellations pour drogue dont 85 % pour cannabis, avec une augmentation de 64,6 % depuis 2002. Avec les sans-papiers, les usagers de drogue contribuent pour 40 % à la progression du taux d’élucidation des crimes et délits dont se targue le gouvernement mais le cadre législatif qui autorise cette dérive n’a pas été remis en cause. On déplore la surpopulation des prisons, mais personne ne cherche à savoir qui sont les prisonniers. Nous préférons croire qu’il n’y aurait pas d’incarcération pour usage. Pourtant, en 2003 déjà, environ la moitié des 10 000 personnes incarcérées pour drogue l’étaient pour usage et détention, transport ou acquisition.

La réduction des risques liés à l’usage de drogue, avec distribution de seringues et traitements de substitution, privilégie la santé plutôt que la répression. Officiellement, cette voie, ouverte depuis 1994, n’a pas été remise en cause, compte tenu de ses résultats (baisse de 80 % des overdoses, baisse spectaculaire des nouveaux cas de sida), mais, dans les faits, cette voie s’est progressivement refermée. La logique guerrière l’a emporté : avec le cadre législatif le plus sévère, la France est le pays d’Europe occidentale qui, depuis une dizaine d’années, a connu la plus forte progression de la consommation de cannabis.

De tels résultats auraient dû nous interroger : comment les Pays-Bas procèdent-ils pour qu’environ un jeune de 17 ans sur quatre expérimente l’usage de cannabis alors que la proportion est d’un jeune sur deux en France ? Peu importe pour le gouvernement qui prétend que si la répression n’est pas efficace, c’est qu’elle n’est pas appliquée. Appliquer la loi, c’est ce qu’imposent désormais les peines plancher : un an de prison pour l’usage «simple», sans détenir de produit, dix ans pour usage et détention quelles que soient les quantités, et même vingt ans pour la production y compris pour l’autoproduction.

Quelle que soit la volonté des magistrats d’appliquer la loi, ils se heurtent à un obstacle majeur : il n’y a pas aujourd’hui suffisamment de place en prison. Ce n’est pas rassurant pour autant : ceux qui sont sanctionnés paient le prix fort. On se doute qu’il s’agit essentiellement de jeunes des quartiers populaires, et surtout des plus bronzés d’entre d’eux mais on ne sait pas combien commencent leur vie avec un casier judiciaire. Ce que l’on sait, c’est que ce handicap est difficilement surmontable.

A ce titre, on ne peut que se féliciter que la grande majorité des 2,4 millions de personnes interpellées pour drogue depuis 1970 aient échappé à toute sanction. Avec les peines plancher, l’enfermement dans des carrières délinquantes devient de plus en plus probable. On sait aussi que la peur de la sanction ne limite ni la consommation ni le trafic.

Il faut rompre ce cercle infernal. Pourquoi pas alors ne renoncer à la prohibition ? La question commence à se poser en Amérique du Nord comme en Amérique du Sud. Au nord, c’est la légalisation du cannabis qui est en débat, au sud, c’est la légalisation de la culture de la coca (1).

Ces mesures, difficiles à mettre en œuvre, ne pourraient résoudre qu’une part des problèmes mais c’est aller dans le bon sens. Le changement de la politique des drogues ne peut se faire que pas à pas, dans une démarche de réduction des risques. De nouveaux modes de gestion des drogues doivent être expérimentés en fonction des problèmes précis qui se posent sur le terrain. Le développement de ces expérimentations sera fonction des résultats obtenus.

Les bons résultats sont ceux qui concourent à la pacification avec moins de morts et moins de prisonniers. C’est déjà le cas de la prévention, des traitements et de la réduction des risques qui doivent être développés largement. C’est aussi le cas de la dépénalisation de l’usage que la plupart de nos voisins en Europe ont déjà adoptée sans conséquences néfastes. Soustraits à la clandestinité, les consommateurs ont un meilleur accès aux soins et à la prévention. Cette mesure serait cohérente avec une politique de santé qui a déjà su faire appel à la responsabilité, comme l’accès aux seringues stériles. La reconnaissance du droit de l’usager limiterait enfin les interpellations systématiques. Ce n’est pas tout, mais ce n’est pas rien.

(1) Voir Courrier international n°965, dossier « Et si on renonçait à la prohibition ? »

 

Les articles d’Anne COPPEL sur Libération

 

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