IXe conférence internationale sur la réduction des risques : vers les pays en voie de développement

Actualité internationale,

Revue SWAPS, nº 8, juin/juillet/août 1998

 

Pour la première fois depuis sa création en 1990, la conférence de réduction des risques s’est déroulée dans un pays du Tiers-Monde (Sao Paulo, Brésil, 15-19 mars 1998). En Europe, la réduction des risques s’est imposée, bon gré mal gré. Les dispositifs de lutte contre les drogues n’en restent pas moins des dispositifs de guerre, mais la nécessité d’une politique de santé y est du moins reconnue. La contradiction est plus violente dans les pays du Tiers-Monde, où « la guerre à la drogue » n’est pas une image: elle se mène avec des armées, tandis que les menaces qui pèsent sur la santé des hommes sont difficilement prises en compte.

Nouvelle tourmente, l’injection se propage sur toutes les grandes voies du trafic international. Il y aurait aujourd’hui plus de 5 millions d’injecteurs dans le monde. Avec un profit estimé à 85-350 milliards de dollars américains, l’offre a fait surgir une demande internationale sans précédent. L’interdiction de l’opium fumé en Asie s’est transformée, estime l’australien Alex Woodack, en politique pro-héroïne. Quant à la feuille de coca, elle fait place au basuko et à la cocaïne, sniffée, mais aussi injectée.

Usagers de drogues en Amérique Latine

Les usagers de drogues contaminés par le virus du sida au Brésil (soit 21% des 110 000 cas) injectent la cocaïne mais leur statut sérologique n’est pas toujours connu. A Santos, avec 40% d’usagers de drogues parmi les cas de sida, la moitié des usagers interviewés connaissait son statut sérologique tandis que, comme à Recife, près des deux tiers utilisaient des seringues non stériles. Le tournant de la réduction des risques est d’autant plus difficile à prendre que les stratégies d’intervention concernant les usagers de cocaïne sont moins assurées, avec des résultats moins probants. Quelques équipes s’implantent sur le terrain, à Sao Paulo, à Rio, à Recife, à Bahia. Le mouvement a à peine un an d’existence : une association brésilienne de réduction des risques, l’ABORDA s’est constituée en 1997, le premier échange de seringues, à Bahia, a commencé en 1995, précédé par quelques actions de prévention (1992-1993). Une rencontre internationale, organisée par la charte de Francfort les 6, 7, 8 octobre 1997 à Medellin, a contribué à mobiliser les énergies. 15 grandes villes d’Amérique Latine -dont Sao Paulo, Rio de Janeiro, La Paz, Buenos Aires, la Havane, Bogota, Santiago, Jalisco, Asunçion- y ont signé un appel à une politique alternative en matière de drogues.

La IXe Conférence internationale marque une première étape dans l’engagement des pays en voie de développement. Trois réseaux existent désormais, dont le dernier, en Amérique Latine, s’est constitué à Sao Paulo.

Le reste du monde

Le réseau en Asie du Sud-Est est le plus ancien. Les premières initiatives ont été impulsées au début des années 90, à Katmandu puis au Népal, en Inde et enfin en Chine et au Viet-Nam. Nick Crofts, Australien, est un des animateurs de ce réseau qui s’est formalisé lors de la VIIe conférence à Hobart (ARHN, Asian, Harm Reduction Network). Son travail a été récompensé cette année par le « Rolleston award », le prix international de réduction des risques.

Autre réseau, les pays de l’Europe de l’Est, dont les premiers acteurs se sont retrouvés à Paris en 1997 et qui ont réussi à leur tour à se regrouper dans un réseau, formalisé à Saint-Petersbourg en octobre 1997. Dans ces pays, les UD(IV) représentent entre 75% (Moscou) et 80% (Bulgarie) des cas de sida.

Avec le soutien du Lindesmith Institute, de Médecins sans Frontière et de Médecins du Monde, près de 40 projets sont en cours de réalisation.

Les obstacles sont de tous ordres, politiques et idéologiques, économiques et techniques, liés à la faiblesse des systèmes de soins. Les pays occidentaux sont cependant loin d’avoir surmonté toutes ces difficultés. Un rapport sur l’Europe du Sud, Italie, Espagnol et France, constate que 45% des 220 projets d’échanges de seringues identifiés échangent moins de 20 seringues par jour et le rapporteur de conclure à la nécessité de renforcer le soutien à la fois technique et politique de ces actions. Comment évaluer l’efficacité d’une action? En Pologne, trois indicateurs ont été retenus: le nombre de seringues distribuées, une évaluation du nombre global de seringues en circulation à un moment donné et enfin la proportion de seringues en circulation (reconnaissables par une labellisation). Toutefois cette méthode dite de « capture/recapture » ne semble pas aisée à mettre en oeuvre à Londres ou à New York. A contrario, l’efficacité d’un programme d’échange de seringues a été démontrée par sa fermeture. Au Connecticut, une étude, menée par Robert Brodhead pour le NIDA, portait sur les pratiques des usagers d’un programme d’échange de seringue (60000 seringues par an avec 88% d’échange). Après qu’un enfant se fut piqué accidentellement avec une seringue, le programme a été fermé et les usagers ont recommencé à utiliser les shooting gallery où ils se servent de seringues non stériles vendues au marché noir.

Travail communautaire

Nombre de projets mettent l’accent sur les techniques de mobilisation communautaire et particulièrement sur la nécessaire alliance avec des usagers de drogues réellement implantés. Cette alliance est à l’origine de la réussite d’un échange de seringues, organisé dans les shooting gallery aux Phillippines ou d’un projet communautaire, avec une émission de télévision destiné aux usagers à Sacramento en Californie, à une heure tardice du soir. Deux associations d’usagers de drogues (GB-Australie) ont présenté un manuel sur le « shoot » propre, avec des règles applicables dans la rue. Autre outil de la prévention des hépatites, un filtre expérimenté en Ecosse. Mais la question centrale des associations d’usagers reste celle du soutien à l’organisation. Aux U.S.A., un réseau, le NAUU s’est formé lors de la 1ère Conférence nationale de réduction des risques en 1996 mais se heurte à une stigmatilation qui isole le mouvement.

La IXe Conférence a peu abordé la question des traitements. La méthadone est expérimentée à Rome comme réponse à l’urgence à la Villa Mariani, service intervenant 24 heures sur 24 à la demande (domicile, police) avec une équipe multi-disciplinaire permettant d’évaluer les besoins du patient. En Grande-Bretagne, les présentations ont porté sur la méthadone en médecine de ville ainsi que sur la méthadone injectable tandis qu’une étude française présentait les résultats du Subutex® en médecine de ville (Etude menée par Eval).

En termes scientifique, l’avancée majeure porte sur les méthodes d’enquête. Dix années d’expérience ont permis à l’équipe de Stimson de regrouper dans un manuel les outils des enquêtes de terrain. Une première synthèse des recherches qualitatives en Europe a été présentée. Ce travail, subventionné par l’Observatoire européen doit permettre de tirer les enseignements du développement des recherches qualitatives depuis le sida. A Sao Paulo, les descriptions ont porté sur les enfants des rues, les aborigènes (Canada), l’utilisation rituelle du ayahuasca dans la culte de Santo Daime, ou encore les homosexuels et l’usage de drogues (Sidney). Egalement décrits très précisément, les comportements sexuels avec Ecstasy.

Témoin de l’avancée internationale du mouvement, cette IXe rencontre s’est conclu par une dénonciation de la politique internationale. Selon Anthony Heyman, l’extension du trafic de la cocaïne est telle que, dans certaines régions d’Amérique Latine, on ne peut plus parler « d’un marché parallèle » . Cependant, la légitimation de cette activité économique s’accompagne d’une répression acrue des usagers. Le paradoxe n’est malheureusement pas spécifique à l’Amérique Latine. Mais il est clair que cette IXe rencontre n’est pas la dernière conférence où seront dénoncés les coûts économiques mais aussi humains d’une politique contre-productive. Nous sommes engagés dans une très longue marche. Rendez-vous l’année prochaine à Genève.

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