Les intervenants en toxicomanie, le sida et la réduction des risques

  “Vivre avec les drogues”, Communications n°166, Le Seuil, pp 75-108, 1996

Dans l’intervention auprès des toxicomanes, nous sommes à un tournant. Après trois années de débat, très centré sur les traitements de substitution, l’étau français se desserre. Notre pays reste, en matière de lutte contre la drogue, le plus répressif d’Europe (1) mais la gravité de la situation tant sanitaire que sociale commence à être reconnue. Avec cinq à dix ans de retard sur nos voisins européens, nous prenons conscience que nous sommes confrontés à une épidémie de sida des plus graves, nous avons appris qu’il y avait des mesures qui permettent relativement efficacement de contenir l’épidémie. Nous commençons, très lentement, à sortir d’une problématique où la drogue n’était envisagée que du point de vue de l’opinion publique, où il importait de rassurer et non de prendre en considération santé mais aussi marginalité et exclusion. Comment expliquer l’immobilisme des professionnels du soin en toxicomanie ? Pourquoi n’ont-ils pas alerté les pouvoirs publics ? Comment, rétrospectivement, comprendre ce silence collectif – car il a été collectif ? Pourquoi les praticiens se sont-ils opposés avec tant d’obstination à des changements dans lesquels ils s’engagent peu à peu ? Comment les logiques professionnelles – culture, pratiques, contraintes institutionnelles – s’inscrivent-elles dans le débat politique français ? Comment comprendre l’exception française ?

L’exception francaise

Car il y a bien une exception française. Dans la plupart des pays européens, la menace du sida a provoqué une remise en cause de l’organisation des soins aux toxicomanes. Comment offrir à tous les usagers de drogue prévention du sida et possibilités de soins ? comment entrer en contact avec tous ceux qui s’exposent au risque ? comment faciliter l’hospitalisation et les soins ? Avec des écarts liés aux dispositifs mais surtout aux pratiques tant répressives que médicales, soins et prévention se heurtent, un peu partout dans le monde, aux mêmes difficultés : les usagers de drogue, criminalisés, sont le plus souvent exclus des dispositifs sanitaires et sociaux; leur mode de vie chaotique est difficilement conciliable avec les traitements à long terme. Un premier résultat a mobilisé chercheurs ou praticiens confrontés à des usagers de drogues. En 1985, Des Jarlais constatait que près de 60% des toxicomanes de rue de New York avaient renoncé à échanger leur seringue dès qu’avaient été connus les modes de contamination (2). La prévention était donc possible.

En 1987, la Grande-Bretagne tire les leçons de deux expériences in vivo. A Edimbourg où les seringues n’étaient pas accessibles aux usagers de drogue, les taux de séroprévalence du sida des usagers de drogues étaient évalués de 45 à 55% alors qu’ils étaient de 5 à 10% dans la ville voisine de Glasgow où les seringues étaient vendues en pharmacie (3). Les seringues devaient donc être le plus accessibles possibles. Autre constat de terrain, à Liverpool où les traitements de substitution étaient largement accessibles (soit près de 4000 toxicomanes en traitement à la méthadone), le taux de séroprévalence était resté très bas soit moins de 1% (4). Ces résultats sont confirmés par des études internationales. Aussi les spécialistes britanniques préconisent-ils de donner la priorité à une politique de santé au détriment de la politique répressive, priorité qu’ils parviennent à imposer sous la menace du sida au gouvernement de Madame Thatcher. Après la Grande-Bretagne, les grandes capitales européennes, sous la pression de professionnels, souvent spécialisés dans le champ de la toxicomanie, quelquefois, comme à Francfort ou Barcelone, à l’initiative d’élus locaux, adoptent une à une les mesures de santé. Non sans débat : cette politique de santé, politique dite de « harm réduction » se heurte avec plus ou moins de violence, aux politiques répressives, dominantes internationalement. Favoriser l’association d’usagers de drogue, distribuer des seringues, prescrire des traitements de substitution implique d’accepter l’usage de drogue et de renoncer à l’objectif prioritaire d’éradication des drogues. A l’exception des Pays-Bas, ces changements ont été adoptés sous la menace du sida, mais ces nouvelles stratégies se sont imposées d’autant mieux que le bilan des années de guerre à la drogue n’a rien de glorieux. La menace du sida a permis cet aggiornamento mais, plus globalement, les pays européens s’engagent un à un, non sans hésitations et sans débats, dans la recherche d’une politique alternative, à la fois moins meurtrière et plus efficace.

Paradoxalement, alors même qu’ils ont continûment dénoncé l’inefficacité de la répression, les spécialistes français se sont refusés aussi longtemps que possible à cet aggiornamento. Les changements qui affectaient nos voisins ont été superbement ignorés, ou encore ils ont été interprétés comme un abandon de la lutte contre la toxicomanie : nos voisins avaient cédé à la panique… Si professionnels du soin et tenants de la répression s’affrontent, violemment entre 1986 et 1988, sur la nature du soin, tous s’accordent, semble-t-il, sur les objectifs que le préfet Broussard assigne au système de soin : « une véritable politique de prise en charge doit être en priorité dirigée vers ceux qui veulent s’en sortir » (5). Distribuer des seringues, prescrire des opiacés n’est pas seulement incompatible avec le cadre législatif, c’est aussi un abandon des ambitions thérapeutiques : « allons-nous baisser les bras ?, allons-nous abandonner les toxicomanes à leur toxicomanie ? ». La question est posée par Francis Curtet à l’ouverture du débat sur la vente libre des seringues, elle structure le débat sur les produits de substitution de ces trois dernières années. Pour Francis Curtet, cet abandon se justifie d’autant moins que « notre pays est celui qui a le mieux limité la toxicomanie » et ce, grâce à « l’efficacité du réseau de soins français » : « la vraie intelligence est d’oser reconnaître notre efficacité pour en convaincre nos partenaires européens » (6).

Jusqu’en septembre 1992, date où s’ouvre un débat public sur les traitements de substitution et plus largement sur une politique de santé, le consensus français est, semble-t-il, sans faille. Entre les accusations de laxisme d’un côté, de dérive sécuritaire de l’autre, un compromis s’est construit auquel se tiennent les professionnels du soin comme les tenants de l’ordre républicain, avec pour ennemi commun le Front National. Le compromis est réaffirmé dans le rapport Trautman : le dispositif de lutte français se targue d’avoir su contenir la consommation de drogues grâce à une politique qui équilibre « soins, prévention et répression », et ce, sans sacrifier l’éthique du soin. Le rapport est rendu public en 1989. Sur 267 pages, deux sont consacrées au sida où le rapporteur se félicite de l’efficacité du dispositif de soin et de prévention « très diversifié et bien intégré » à qui il faut sans doute attribuer « l’infléchissement de la progression de la contamination chez les toxicomanes en France »(7). A cette date, nos voisins européens sont nettement moins sereins. Les suisses ouvrent alors leurs premiers services « d’aide à la survie » et affrontent en même temps que l’urgence sanitaire, l’urgence sociale. Il nous faudra encore cinq ans pour que les francais soient informés des changements de politique de nos partenaires européens (8) et pour que soient posés publiquement les éléments d’un diagnostic plus réaliste. Un diagnostic qui n’a pas été aisé à poser. Les statistiques existantes sont pauvres mais surtout le connaissance n’est pas recherchée « avec le souci qu’elle soit exacte » mais « pour la valeur mythique qu’elle a dans nos société » estime René Padieu après deux années de collecte et d’analyse des statistiques, et il ajoute « c’est la société entière qui se drogue : elle se dope avec de la répression et se shoote à la statistique » (9). Aux tenants du fléau social, les pouvoirs publics ont opposé systématiquement les statistiques qui démontraient que le problème était contenu. Dans cette perspective, l’absence d’études rigoureuses sur la mortalité ou la morbidité des toxicomanes n’était nullement un handicap, bien au contraire. Un objectif de santé publique exige d’autres données. Quelques études confirment aujourd’hui, encore partiellement, le diagnostic beaucoup moins optimiste de professionnels de terrain (10). La France est confrontée à une épidémie de sida des plus graves, la mortalité des toxicomanes, sous-évaluée, est sévère, l’état de santé, précaire, les toxicomanes encombrent les prisons, l’insécurité liée à la drogue n’est pas qu’un sentiment et le dispositif de lutte fait de nous le pays le plus répressif d’Europe. « La politique de lutte contre la toxicomanie, fondée sur l’idée selon laquelle il ne faut rien faire pour faciliter la vie des toxicomanes a provoqué des catastrophes sanitaires et sociales ». Tel est le diagnostic du rapport Henrion (11). Le réveil est violent.

Un silence persistant

Effet de sidération ou refus du catastrophisme, la situation alarmante des toxicomanes face au sida n’a guère suscité de réaction en France. Pendant toutes les années 80, le silence a été général : silence de la presse, silence des pouvoirs publics, silence des spécialistes. La contamination de toxicomanes américains est connue dès 1982 et signalée dans un des premiers articles du Monde sur le sida (12) mais la maladie se construit comme aux USA sur « le mal étrange qui frappe la communauté homosexuelle ». De fait, la découverte même de la maladie est, comme le montre Daniel Defert, directement liée à un fait social : la visibilité des homosexuels et leur organisation communautaire (13). Leur mobilisation est constitutive de la construction sociale de la maladie. A partir de mai 1983, les « 4 H », homosexuels, haïtiens, hémophiles et héroïnomanes, font leur apparition dans la presse mais les toxicomanes sont toujours mentionnés dans une énumération et ne donnent lieu à aucun article spécifique, au contraire non seulement des homosexuels mais aussi des autres groupes à risque, hémophiles, femmes et enfants, africains. Au cours de l’année 1985, « l’épidémie homosexuelle » se transforme dans la presse en pandémie : le sida concerne tout le monde, et la notion de groupe à risque est maniée avec précaution, au nom du politiquement correct. Les toxicomanes font néanmoins une première apparition dans la presse en août 1985 avec deux sujets : l’annonce de la mise à l’étude de la libéralisation des seringues (2 articles dans Libération, 1 dans Le Monde, 2 articles dans la presse médicale) et la panique des gardiens de prisons (12 articles dans les quotidiens nationaux). La place accordée aux toxicomanes dans la presse reste cependant très marginale. Dans leur analyse de presse, Claudine Herzlich et Janine Pierret ne leur accordent aucune attention (14). Ultérieurement, l’information concernant la situation des toxicomanes face à l’épidémie est limitée à la seringue à raison d’un article tous les six mois en moyenne dans Le Monde et Libération avec les thèmes les suivants : nécessité de la mesure et résistances en 1986, prise de décision et clause de conscience des pharmaciens en 1987, changement de comportement des toxicomanes en 1988, annonce des programme d’échange de seringue en 1989, bilan d’activité de Marmottan et programmes d’échange de seringues en 1990, les années 1989-1990-1991 étant particulièrement pauvres en information dans ce domaine.

Précisons tout de suite que ces articles, si peu nombreux soient-ils, ont certainement joué un rôle majeur dans la sensibilisation et la prise de décision concernant la libéralisation des seringues : ils sont la seule trace écrite du débat qui est resté circonscrit aux experts. Libération comme Le Monde ont pris nettement position pour la libéralisation des seringues, ne serait-ce que par les experts consultés. Si les français ignorent qu’à partir de 1986, ils sont seuls en Europe à interdire la vente libre des seringues, du moins un petit article du Monde les informe-t-il en 1986 des bons résultats obtenus au Danemark avec l’accès aux seringues. Au-delà des seringues, et au contraire de ce qui se passe en Grande-Bretagne ou en Suisse, le dispositif de lutte contre la toxicomanie n’est pas interrogé avant l’automne 1992 pour Le Monde comme pour Libération.

La place des toxicomanes dans la construction sociale du sida est passablement paradoxale. La thématique de la maladie – victime ou responsable, vie privée et libertés publiques, discrimination, stigmatisation et exclusion, fléau des temps modernes et vulnérabilité des sociétés occidentales – est très précisément celle de la construction de la drogue comme problème mais le lien n’est pas fait. Dans le discours sur le sida, les toxicomanes occupent la place de la fée Carabosse, ils n’ont pas été invités, ils hantent, sans être jamais nommés, les analyses de l’épidémie. La progression rapide du taux de contamination des toxicomanes – en 1991, les toxicomanes sont devenus le premier groupe victime du sida en Europe – suscite peu de commentaires, quand l’information est donnée, et les français ignorent tout autant que des mesures relativement simples permettent efficacement de contenir l’épidémie. Plus que la gravité de la situation, c’est manifestement le risque de stigmatisation qui préoccupe les journalistes, reflet ici de l’opinion éclairée : comment éviter que le stigmate qui entache la toxicomanie ne rejaillisse sur le sida, comment éviter la politisation des débats ?

Le traitement de l’information sur le sida en prison par Le Monde et Libération est symptomatique. En août 85, les gardiens de la prison de Draguignan s’affolent et réclament des « équipements spéciaux ». Les informations fournies à cette occasion n’ont rien de rassurant : on y apprend que plus de la moitié des détenus toxicomanes seraient contaminés par le virus. Pour ces deux quotidiens, la revendication des gardiens est le produit d’une manipulation politique : « médicalement inepte et politiquement sûrement pas innocent » titre Libération tandis que Le Monde s’interroge « une affaire politique ? ». L’information est désormais construite sous la domination du spectre du sidatorium. Unanimement, la presse se veut rassurante : « pas de panique » titre La Dépêche tandis que Le Monde, Libération et le Figaro prônent une information « honnête et dépassionnée » (15). Ultérieurement, l’information est relativisée : les statistiques, juge Libération sont « alarmistes, basées sur des données partielles » (16). A cette date, on dispose de quelques données sur les taux de contamination des toxicomanes en prison, données qui ne sont pas publiées dans la presse au contraire des autres informations épidémiologiques : les taux de contamination des toxicomanes incarcérés sont de 70% à Nice en 1984, de 61% à Fresnes en 1985, de 54% à Bordeaux en 1985-86 (17). A cette date, nul ne s’interroge sur les taux de contamination au-delà des murs de la prison et l’incarcération de malades ne semble troubler personne. Les gardiens sont seuls à s’être inquiétés et leur revendication est traitée par le mépris : le bas peuple est victime de ses peurs irrationnelles. Comme dans d’autres champs, la réponse est dans la dédramatisation et la dénonciation de la manipulation politique, et non dans le traitement de la question posée.

Le refus de l’amalgame Toxicomanie/Sida

« Toxicomanie/sida  » quel est le rapport ? » s’étonnait le premier Ministre Balladur alors qu’un journaliste l’interrogeait sur la place du sida dans le plan de lutte contre la toxicomanie, rendu public le 23 septembre 1993. L’étonnement de M. Balladur n’était nullement feint, il est le produit d’une politique qui a mis un point d’honneur à refuser « l’amalgame toxicomanie/sida ». Tel a été en effet le credo commun aux instances chargées de coordonner la politique gouvernementale, la DGLDT de 1990 à 1992 et avant elle, la MILT, de 1985 à 1989 (18). La MILT avait été emportée par le débat violent des années 1986-1988. M. Chalandon, alors Ministre de la Justice, avait tenté une politique musclée, en rupture avec la politique de dédramatisation menée continûment pendant le gouvernement de la gauche. Il se heurte à la mobilisation des professionnels du soin, le projet de traitement obligatoire des toxicomanes dans les hôpitaux psychiatriques est abandonné mais le ton est donné. L’opinion a peur ? Il faut la rassurer. La DGLDT succède à la MILT en 1990 avec pour responsable Georgina Dufoix. Au moment où nos voisins européens commencent à reconsidérer leur politique de lutte contre la drogue, la DGLDT lance « une grande campagne nationale », le « Combat pour la vie ». Pas un mot sur le sida dans cette formidable mobilisation, un silence que remarque Le Journal du Sida (19). Le plan de lutte contre la toxicomanie du 23 septembre 1993 est le premier plan gouvernemental de lutte contre la toxicomanie qui mentionne le sida; encore les urgences sont -elles « en annexe » remarque le Dr Lebeau (20).

L’organigramme administratif reflète cette volonté de cloisonnement. Rien n’est modifié des missions des services de soins ou de prévention de la toxicomanie, le sida est traité ailleurs, dans des organismes spécialement créés à cet effet, la Direction Générale de la Santé/division SIDA ou encore dans l’Agence Française de Lutte contre le Sida. Ces deux organismes, chargés l’un des services de soins, l’autre de la prévention du sida, affirment d’entrée leur vocation généraliste. Leur action en direction des toxicomanes est doublement verrouillée : « Le sida concerne tout le monde », ce credo commun aux politiques de lutte contre le sida limite les mesures spécifiques, entachées du risque de stigmatisation. En outre, au contraire des homosexuels, les toxicomanes relèvent de services administratifs existants. Les toxicomanes sont donc renvoyés aux services qui ont en charge la toxicomanie. Mais qui n’ont pas en charge le sida. La méthadone comme prévention du sida, est ainsi impensable en termes administratifs : la méthadone relève administrativement du service de la Direction Générale de la Santé chargé des soins aux toxicomanes. Or, martèlent les spécialistes, dont le Dr Olievenstein, la méthadone ne peut être considérée comme un traitement de la toxicomanie, qui doit traiter les causes et non le symptôme même si elle peut être d’une certaine utilité dans la prévention du sida (21). La méthadone doit-elle être considérée comme un traitement de la toxicomanie ou comme un outil de prévention du sida ? Ce débat, byzantin pour les non-initiés, est en partie imposé par l’organigramme administratif.

Une volonté politique claire pouvait certes s’affronter à ces verrouillages administratifs, sans imposer la sempiternelle guerre des concepts (qu’est-ce que la toxicomanie ? qu’est-ce qu’un traitement ?). La volonté politique claire a fait défaut et nulle voix ne s’est élevée pour la réclamer. Au contraire, les directives politiques ne cessent de se contredire. Le 7 février 1985, Georgina Dufoix, alors ministre de la Santé étend la prohibition des seringues aux seringues vendues avec des vaccins telle le Ribomunyl : ces seringues étaient utilisées par les toxicomanes. Quelques mois plus tard, Edmond Hervé, secrétaire d’Etat à la Santé, demande l’examen de la vente libre des seringues par la Commission des stupéfiants (22). L’administration de la santé réagit néanmoins mais avec lenteur, au contraire de la mobilisation dont elle fait preuve pour ce qui concerne les professionnels de santé, les hémophiles, les homosexuels ou les femmes enceintes. Aux côtés de l’administration, l’Agence Française de Lutte contre le Sida a bien initié quelques actions expérimentales avec des usagers de drogue mais ces actions ont été menées aux marges des services existants. Les mesures nécessaires étaient connues des responsables administratifs, peu nombreux, qui ont eu à traiter du dossier. L’immobilisme l’a emporté, conforté par une répartition des compétences trop complexe, l’absence de relais professionnels ou associatif, mais aussi faute d’une instance technique chargée de l’élaboration d’une politique de santé.

La stratégie adoptée par l’administration en matière de prévention du sida a été d’intégrer la dimension du sida dans les dispositifs de soins existants, stratégie qui a semblé la moins stigmatisante pour les malades mais aussi la plus économique. Les centres de soins en toxicomanie ont donc été informés en août 1985 des modes de contamination du virus, à charge pour eux d’en informer leur population. Les institutions de soins pouvaient-elles jouer un rôle de relais auprès de l’ensemble de la population des usagers de drogue ? La prévention du sida impliquait-elle un changement dans les pratiques professionnelles ? Comment favoriser ce changement ? Les responsables administratifs ont parfois déploré l’immobilisme des professionnels du soin face au sida, mais aucune instance n’a été chargée de penser et de mettre en oeuvre les changements que la situation imposait. Devait-on attendre des psychiatres et psychologues qu’ils renoncent à leurs techniques profes- sionnelles, qu’ils aillent dans les squats et dans les caves distribuer capotes et seringues ? Ne devait-on pas faire appel à d’autres secteurs professionnels ou militants ? Toutes ces questions n’ont pas été posées comme des problèmes qui devaient être traités.

La carence de politique de santé publique n’est nullement propre à la toxicomanie. Nombre de risques sanitaires sont tout aussi dépourvus et cette carence est du reste à l’origine de notre difficulté à affronter globalement l’épidémie de sida (23) mais ici, l’absence de santé publique relève de la construction même du problème de la drogue. La législation sur les stupéfiants a beau relever du code de santé publique, nul n’envisage la toxicomanie comme un problème de santé publique, les soignants moins que tout autre.

Une même conception politique du problème construit le consensus français, une conception fondée sur « la norme civique » (24). La toxicomanie n’est pas un problème de santé publique, affirmait déjà le rapport de Monique Pelletier en 1976, ou du moins, nuançait-elle, il ne l’est pas encore : « cela pourrait le devenir s’il y avait 100 000 « grands toxicos » ou 500 morts par « overdoses » par an » (25). Nonobstant, la position sera tenue tout au long des années 80 et réaffirmée dans le rapport Trautmann en 1989. La loi de 70 rappelle la norme à laquelle l’individu doit se conformer. La transgression de la norme menace l’ordre social, la sanction pénale rappelle au drogué « qu’il vit en société avant de l’empêcher de s’autodétruire » (26). Alternative à la sanction pénale, le traitement renvoie plus à une préoccupation humanitaire d’adoucissement des peines qu’à une définition proprement médicale de la toxicomanie. Le traitement est une des modalités de l’application de la loi et le médecin est ainsi transformé en auxiliaire de justice. Les médecins refuseront la fonction, mais non la définition du problème. Les soignants doivent-ils contribuer à l’imposition de la norme sociale ? Doivent-ils s’inscrire dans les logiques collectives de la Santé Publique ? Ces questions sont constitutives de la création du secteur de soins spécialisés. Pour les spécialistes les plus proches du mouvement contestataire, refuser la définition de la toxicomanie comme problème de santé publique, c’est refuser le rôle de contrôle social que la justice souhaite imposer à la santé.

« Sommes-nous concernés ? »

La prudence des journalistes, la lenteur des politiques et des administrations tiennent en grande part au silence des spécialistes. Comment informer si nulle voix ne s’élève pour donner l’alerte ? Comment développer des actions de prévention ou de soin si les professionnels ne s’y engagent pas ? Consultés très systématiquement aussi bien par la presse que par les pouvoirs publics, par le monde médical ou les associations de lutte contre le sida, les spécialistes en toxicomanie se sont refusés à toute prise de position. Le silence règne, rompu une seule fois par C. Olievenstein pour réclamer la vente libre des seringues. Ce sera la seule mesure réclamée, et la seule voix du monde de la toxicomanie pour la réclamer.

Non que les intervenants ne soient confrontés au sida. Dès 1985, dans les régions les plus touchées du moins, les patients, séropositifs et même malades sont chaque jour plus nombreux. Quelques praticiens s’engagent dans des enquêtes épidémiologiques mais l’inquiétude est tenue secrète. La gravité de l’épidémie, les mesures à prendre, les résultats des recherches étrangères ne donnent lieu à aucun débat, aucune réflexion collective, aucun article. Dans la revue « Intervention », revue de l’Association Nationale des Intervenants en Toxicomanie (ANIT), le mot « sida » apparaît pour la première fois en titre d’un article en 1987. Dans l’année, 5 articles sont publiés avec la mention « sida » en titre sur un total de 48 articles. Avant cette date, le silence est général, à peine rompu par une information épidémiologique, sans qu’en soient discutées les conséquences cliniques ou politiques (27). À partir de 1987-88, les praticiens vont publier de 3 à 7 articles par an dans la revue Intervention. Le Centre Régional d’Information sur la Prévention du Sida (CRIPS) ne retient aucune référence française sur « toxicomanie-sida » pour 1986, il en retient 7 en 1987, et au total, de 1985 à 1992, 113 références sur environ 7000 (28). Etrangement, ce silence est vécu par les intervenants comme un bruit étourdissant. Comme s’il convenait d’abord de se justifier avant de rompre le silence, les premiers articles de 1987 à 1990 commencent par une dénonciation quasi unanime de l’exploitation sensationnaliste du sida, « l’assurance de faire recette » (29). A posteriori, il reste bien peu de traces écrites de l’exploitation éhontée que dénoncent les intervenants.

Jusqu’en 1990, nulle trace d’un débat sur les seringues, ni sur la méthadone dans la revue de l’ANIT. Encore moins sur l’auto-support, c’est à dire la capacité des usagers de drogue à changer et à s’organiser. L’ANIT entérine la vente libre des seringues mais elle ne l’a ni discutée ni demandée. Le débat sur les seringues est resté très strictement circonscrit aux instances officielles, en particulier à la commission des stupéfiants, en réponse à la demande d’étude du gouvernement. Le débat est devenu public grâce à la presse écrite et la mobilisation de l’association AIDES mais il n’a pas été mené dans le milieu professionnel spécialisé. Face à l’épidémie, la seule réponse légitimée est l’information, une information parcimonieuse, que publie l’ANIT à deux reprises au cours des années 80, une première fois en 1986 où est reproduite une brochure éditée par Marmottan sur « Les maladies transmissibles par les seringues » puis en 1989, où l’ANIT produit enfin un dossier d’information sur « Toxicomanie, Sida ».

Encore cette information se donne-t-elle comme objectif prioritaire la dénonciation d’une politique de ségrégation : « Face à une opinion publique désemparée et aux pouvoirs publics désorientés, l’ANIT crie « Non aux sidatorium » est-il écrit en première page du dossier (30). La même problématique défensive est reprise en 1990 lors de la journée nationale, journée organisée pour la première fois sous le signe du sida : « Toxicomanie(s) au temps du sida ». Le discours d’ouverture fait le bilan de dix ans d’existence de l’ANIT. Bilan maussade : l’ANIT dénonce « l’absence de cohérence des politiques », « les peurs irrationnelles de la société » : rien n’a véritablement changé depuis 20 ans, le corps social continue de définir la toxicomanie par le produit, les analyses des spécialistes ne sont pas entendues, les politiques restent tout aussi répressives. Quand au sida, le paragraphe qui lui est consacré est intitulé « Sommes- nous concernés ? ». Question récurrente : c’est la question posée par les tous premiers articles publiés par la revue Intervention de l’ANIT (31). La réponse est consensuelle : nous sommes concernés si les principes qui fondent le système de soins spécialisés, anonymat, volontariat et gratuité, sont respectés.

Tenir le cap

Tenir le cap : le mot d’ordre est constitutif du système de soin de français qui revendique d’avoir su résister aux peurs collectives, aux pressions politiques, à la menace policière mais aussi à la toute-puissance médicale, aux logiques d’enfermement et de contrôle social, et enfin à la pression quotidienne du toxicomane lui-même, entre séduction et chantage. De tous côtés, la citadelle est assiégée : l’identité de l’intervenant en toxicomanie s’est construite dans la résistance, elle fait sa singularité et la différencie de « toutes les institutions de contrôle social » (32). Au nom du refus du contrôle social, la collaboration avec les services de justice a longtemps été refusée comme était refusée, par les puristes du moins, la collaboration avec les services sociaux ou éducatifs, « instruments de normalisation sociale » des jeunes et des déviants. La collaboration avec le secteur médical s’est avérée tout aussi impensable. Le soin en toxicomanie a ceci de particulier qu’il ne prétend pas soigner ce qu’il refuse de considérer comme une maladie. Etrange paradoxe, étayé par une problématique conceptuelle aussi inaccessible à l’homme de la rue qu’au soignant ordinaire, qui en avait conclu que cette histoire était vraiment trop compliquée et qu’elle ne le concernait pas. Un splendide isolement menacerait les institutions de soin si le lien avec la société n’était affirmé au travers des principes qui les fondent, droits de l’homme, démocratie et liberté : les ennemis du système de soin français sont nombreux, ce sont les ennemis de la liberté. Cette logique fédérative construit, au début des années 80, le front uni des intervenants en toxicomanie face à l’escalade de la guerre à la drogue, à la montée du sentiment d’insécurité mais aussi à la remise en cause des institutions.

Longtemps silencieux, les professionnels intègrent peu à peu le virus aux stratégies professionnelles. L’ennemi est identifié : le problème, c’est « l’exploitation du SIDA à des fins de contrôle politique et social » (33). « Ne nous laissons pas intoxiquer par le sida  » : le mot d’ordre s’inscrit dans la culture professionnelle dont un des caractères est le refus de la dramatisation. Ce refus relève pour une part de la pratique clinique. On ne devient pas professionnel de la toxicomanie si on ne sait pas résister à la « mise en scène permanente que nous jouent les toxicomanes sur leur propre mort certes mais aussi sur la fin de tout » (34). Un appareillage théorique avait armé les praticiens face au fantasme de mort. Avec le sida, la mort est maintenant annoncée, elle n’est plus un jeu, elle impose le silence. Mais les pratiques professionnelles qui avaient su traiter le fantasme de mort s’imposent subrepticement. Déjà, elles avaient rendu imperceptibles les morts par overdoses, septicémies ou accident. Les toxicomanes – observent les cliniciens – réagissent le plus souvent par le déni. Au mieux, le sida est banalisé, traité comme un risque qui s’ajoute à tous ceux que le toxicomane « choisit » d’affronter quotidiennement. La tentation est grande d’adopter en miroir cette « culture du fatalisme » qui s’accommode de l’inacceptable.

Le refus de la dramatisation est également constitutif de la position des professionnels du soin dans le débat public sur la drogue. Traditionnellement, le discours du fléau est celui des tenants de la répression. A la montée des inquiétudes, les professionnels du soin répondent épidémiologie. Que sont 80 000 toxicomanes et 200 morts par overdose, au regard du fléau de l’alcool avec ses 4 millions d’alcooliques et ses 40 000 morts ? Le nombre de toxicomanes est ainsi devenu au cours des années 80 un enjeu central de la construction du problème : le problème est-il purement symbolique, est-il ou non contenu ? Seuls les ennemis de la liberté sonnent le tocsin. Dénoncer la gravité de l’épidémie, c’est alimenter la peur et la demande de contrôle social. Le sida sera traité sur le même mode : il faut rassurer. Ainsi les chiffres les plus inquiétants, et par exemple les taux de contamination des toxicomanes incarcérés, ne seront pas diffusés. Ceux qui prétendent qu’un « toxicomane sur deux ou trois sont atteints du sida recherchent sensationnalisme ou exclusion » peut-on lire dans la revue de l’ANIT en 1987. Les chiffres sont du reste communément considérés comme suspects, imposés par le débat public. Le phénomène est « complexe » et la toxicomanie « ne se réduit pas à une équation chiffrée »

Autre thème récurent dans le discours des intervenants sur le sida : « Le sida ne fera pas disparaître la toxicomanie ». Les toxicomanes restent toxicomanes, même malades du sida : « Les toxicos ne sont pas identiques aux malades du sida car les raisons d’être toxico subsistent malgré la séropositivité » écrit Claude Olievenstein dans Le Journal du Sida , qui ajoute « Si AIDES et Aparts ont échoué dans leur hébergement des toxicos, c’est qu’il n’y a pas eu d’écoute réelle. Les dimensions du plaisir et de la mort préexistaient bien avant le sida » (35). Il convient donc de poursuivre la prise en charge thérapeutique et non d’abandonner le patient sous prétexte qu’il est malade. Cette position est réaffirmée fortement, elle répond aux troubles des équipes : devait-on engager une désintoxication alors que le patient était manifestement condamné ? La réponse, nous dit Charles-Nicolas, a été apportée par les patients eux-mêmes : ils restent demandeurs de soin, et nous nous devons de les accompagner, « la lutte contre leur toxicomanie les aide à vivre » constate le clinicien (36). La déontologie médicale impose de répondre à la demande du patient, de le traiter « comme les autres ». Pour la plupart, les intervenants mettent un point d’honneur à poursuivre les prises en charge et s’engagent auprès de leurs patients dans ces accompagnements longs et douloureux. La position de principe, irréprochable, laisse toutefois dans l’ombre quelques questions : il y a bien demande de soin mais l’offre convient-elle à tous ? quels sont exactement les services offerts ? qui en bénéficie ? qui en est exclu ? Ces questions sont celles de l’évaluation des institutions.

À quoi sert le traitement ?

Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, les services entrent dans l’ère de l’évaluation.  » Foutaise bureaucratique » fulmine Claude Olievenstein (37). Quelles que soient leurs réticences, les intervenants en toxicomanie ne s’engagent pas moins dans le débat. Ou du moins dans ses prolégomènes : Qui sommes nous, comment nous inscrivons-nous dans le cadre de la lutte contre la drogue ? que nous demandent les politiques, l’opinion publique ? (38). À l’exception des deux premières années consacrées à « Adolescence et toxicomanie », l’usager lui-même est étrangement absent des préoccupations, seul le concept de « toxicomane » est interrogé : qu’est-ce qu’un toxicomane ? « Le toxicomane n’existe pas » écrivait Zafiropoulos, cette catégorie procède de « l’espace juridique et non de la clinique » et Zafiropoulos de dénoncer « cet oubli de départ » de tous ceux qui s’escriment à élaborer « une (des) cliniques du toxicomane » (39). Sur cette question, les intervenants sont largement ambivalents, la spécificité des toxicomanes est discutée dès la création des services spécialisés. Les plus proches de la mouvance contre-culturelle comme Claude Olievenstein revendiquent hautement une spécialisation qu’impose non pas tant la structure de la personnalité mais l’expérience elle-même, « ineffable et irréductible »(40). L’expérience ici n’est pas réduite au symptôme, elle est aussi « une autre cinétique » de la vie intra-psychique. Ceux qui entrent dans la prise en charge des toxicomanes par la porte de la marginalité ou de l’exclusion, ceux qui, éducateurs ou bénévoles, accueillaient, quelquefois chez eux, des jeunes à la dérive toutes difficultés confondues, tentent de résister tant bien que mal à la spécialisation et dénoncent le risque de ghettoïsation. Psychothérapeutes d’obédience psychanalytique et psychiatres spécialistes de l’adolescence sont sans doute ceux qui contestent le plus violemment la spécialisation. De plus en plus fortement, ils réaffirment qu’il n’y a pas de structure de personnalité propre au toxicomane, que la toxicomanie ne se définit pas par le produit, que la toxicomanie n’est qu’une des expressions de la souffrance du sujet, un trouble, parmi d’autres, de l’adolescence. De l’affirmation d’Eros dans la mouvance contre-culturelle à la souffrance du sujet, une gamme de positions s’affronte, houleusement dans les temps héroïques des pionniers. La logique de la spécialisation l’emporte, imposée par les modes de financement : « Mon étonnement a été grand de voir qu’un projet destiné à de grands adolescents et jeunes adultes en difficulté diverses psychiques et sociales n’obtenaient des pouvoirs publics un financement qu’au seul titre de la prise en charge des toxicomanes » (41). Au fil des ans, les débats théoriques s’amenuisent, les animosités ou les querelles deviennent des affaires de famille tandis que s’affirment les enjeux communs à ce qui se constitue, en quelques années, comme le secteur de soins spécialisés.

Au-delà des divergences, les spécialistes, devenus en 1980 « intervenants en toxicomanie » (42) sont tous confrontés à la même difficulté initiale. Le dispositif de soins s’inscrit dans la loi de 70 qui fixe aux thérapeutes des objectifs qui ne sont pas les leurs. Quelques soient les opinions sur la consommation de drogue, nul n’accepte le système d’équivalence que construit la loi entre « traitement » et « éradication de la toxicomanie ». Refusant de définir leur action par la simple désintoxication, les thérapeutes français conçoivent leur travail comme « un accompagnement non coercitif, basé en permanence sur la demande explicite du sujet ». Clairement, l’offre de soin est « en port-à-faux avec le versant coercitif de la loi » (43). François Petit, administrateur civil, a suivi, pas à pas, à la Direction Générale de la Santé puis à la MILT, le développement du système de soin. Après « l’ère des pionniers » (1970-75), il identifie une période de 1975 à 1980 où s’élabore une stratégie commune au travers des « grands débats unificateurs » : « Faut-il traiter ensemble ou séparer alcoolisme et toxicomanie ? Faut-il privilégier les traitements obligatoires ou volontaires ? L’abstinence est-elle ou non le but de prise en charge et un critère d’évaluation ? » (44). Cette stratégie commune est en grande partie générée par le compromis entre santé et répression dont la loi de 70 est issue (45).

En échange de la pénalisation de l’usage de drogues qu’ils n’avaient pas souhaitée, les thérapeutes obtiennent que l’accès aux traitements soit « anonyme, volontaire et gratuit ». L’espace de soin est protégé par la déontologie médicale qui n’a pas de comptes à rendre à la justice. Dans la mesure où la définition du soin appartient au thérapeute, le soin peut échapper à la fonction de contrôle social qu’il exerce en principe dans la logique répressive. La loi est tenue de tolérer, contre ses propres objectifs, des soignants qui se refusent à soigner ceux qu’ils ne considèrent pas comme des malades. Les plus proches de la contre-culture peuvent ainsi offrir un refuge à ceux « qui s’étaient rendus trop loin dans une quête identitaire au sein d’une société hostile, productrice de robots », « un circuit protégé » loin « du social contraignant, du familial pathogène » (46). Liberté précieuse au regard des traitements comportementalistes, communautés thérapeutiques et méthadone que les professionnels du soins découvrent lors d’un voyage à Quebec en 1977 et qui leur font horreur. Aux « techniques comportementalistes parfois avilissantes » qui visent à « rectifier et normaliser les comportements de ces brebis égarées » (47), les français opposent la liberté de choix, le respect de la dignité du patient, le traitement volontaire fondé sur la demande. A ce prix, la loi est acceptée comme un mal nécessaire, concession aux peurs collectives, qui a du moins le précieux mérite d’offrir un espace qui échappe à la loi.

Maintenir l’espace de liberté, tel est donc l’enjeu prioritaire. Toutes les questions de l’évaluation seront traitées à l’aune de cette préoccupation unique. L’efficacité du traitement ? « La fin ne justifie pas les moyens », « la nécessité de produire des résultats a pu conduire à des modèles attentatoires aux droits de l’homme » écrit Marc Valleur qui dénonce vigoureusement les traitements comportementalistes, « au mieux, tentatives de dressage, au pire formes sophistiquées de la torture », les traitements méthadone « qui ne font que maintenir la dépendance » ou enfin le modèle maladie de Narcotiques Anonymes, « soumission à une puissance supérieure (…) sorte de religion privée » (48). L’utilisation coercitive de ces traitements les condamnent sans que soit même envisagée la possibilité d’un usage déontologique de ces méthodes. Leur est opposée « la liberté de choix », but du traitement, qui ne peut relever d’aucune comptabilité. L’usage de drogue est un choix du sujet, sortir des drogues relève de sa volonté. Malgré l’aggravation de la marginalisation sociale, le système de contraintes dans lequel se débat l’usager de drogue, contraintes de la vie ordinaire, redoublées par le statut légal du produit mais aussi par ses propriétés pharmacologiques n’est pas pris en compte.

Dans les institutions de soin, « la liberté de choix » est posée en termes relativement simples : le toxicomane peut choisir de consommer des drogues, auquel cas il ne fait pas appel au traitement. Ou bien il peut choisir d’être libre de tout dépendance, et concrètement de se désintoxiquer. Au cours des années 80, des centres d’accueil s’ouvrent sur tout le territoire. Ils offrent systématiquement, à ceux qui en font la demande, des cures assorties d’un accompagnement psychothérapeutique. Au fil des années, la liberté de choix est devenue synonyme d’abstinence. Cette évolution s’est faite en partie insensiblement, de par la logique institutionnelle. Elle témoigne aussi d’une évolution des représentations de la toxicomanie et de son traitement. La toxicomanie, révolte des jeunes ou crise de société, est devenue dépendance. À la recherche du manque originel, les cliniciens découvrent les « nouvelles dépendances », anorexie, boulimie ou télévision et « le produit se retire de la scène clinique » (49). Ce déplacement se fait parallèlement à un désenchantement des thérapeutes les plus libertaires, « paradoxalement à l’origine d’une extrême intolérance à l’égard des drogues » (50) : les toxicomanes, hérauts de la liberté, sont devenus des esclaves. « Nous avons un désaccord éthique fondamental avec le toxicomane » écrit un praticien (51) car la liberté se gagne contre la dépendance. Par un biais inattendu, les psychothérapeutes français ont rejoint l’idéal « Drug free » de leurs collègues américains.

À quoi servent exactement les cures de désintoxication ? Le Dr Ingold sera un des seuls à aborder cette question. Sur la base de travaux ethnologiques, il avance l’hypothèse que la cure entre dans une gestion de la dépendance, une pause dans la galère (52). Dans les années 80, personne ne songe à aller plus loin dans la réflexion : les cures de désintoxication sont-elles les réponses les mieux adaptées à cet objectif qui n’est pas le sien, à savoir, la pause dans la galère ? Ces questions ne sont pas posées tant la cure semble aller de soi. Qu’elle soit inefficace est un secret de polichinelle. Les meilleurs praticiens en ont pris leur parti sans remettre en cause les croyances collectives, puisque le silence est le prix à payer de la liberté thérapeutique. Les praticiens se sont contentés de ne pas développer les institutions de cures spécialisées. La dizaine de lits de cures de Marmottan est ainsi restée la seule offre de cure spécialisée en France. Elle a été considérée comme amplement suffisante par les spécialistes. « On s’est trompé de route », reconnaît Claude Olievenstein en 1980, rien ne sert de créer « de nouveaux ghettos », qui risquent « à la fois de valoriser le symptôme toxicomaniaque et de créer tout un mythe autour de la prise de drogue » (53). Le risque de ghettoïsation est systématiquement opposé à toute offre de soins spécifiques, il est d’autant mieux entendu qu’il fait écho à la logique de décloisonnement qui traverse la réflexion sur les politiques sociales dans les années 80.

Si les intervenants en toxicomanie ont défendu leurs budgets, ils n’ont par contre jamais revendiqué une extension du dispositif au regard des besoins des toxicomanes. Le terme même de « besoins » fait bondir ceux qui ne se soucient que de désir. Offrir systématiquement un traitement ne peut renvoyer qu’à une volonté de contrôle social, soit comptabiliser, enrégimenter, rééduquer les toxicomanes. Car il n’y a pas de « besoin de traitement ». Le traitement n’est pas obligatoire, rappelle Marc Valleur, des toxicomanes peuvent sortir de la toxicomanie sans traitement « par un processus de maturation spontanée » (54). Ne doivent être suivis que ceux qui le souhaitent. Le système de soins se veut modeste, il ne prétend pas détenir la vérité scientifique sur les traitements (55), il se doit néanmoins de tenir la place du spécialiste et de ne la laisser à nul autre puisque de cette place, il peut poursuivre la tâche qu’il s’est proposé : protéger le toxicomane de ceux qui veulent le protéger de lui-même.

Questions cruelles

Déontologie ou pragmatisme ? Droits de l’homme ou réalisme qui fait accepter le spectacle de la déchéance ? On comprend que les politiques européennes n’aient suscité nul enthousiasme spontané, d’autant que les principes des centres spécialisés sont ceux qui fondent plus largement le consensus démocratique : pour les droits de l’Homme, contre la stigmatisation et les ghettos, pour la liberté de choix, contre l’enfermement, pour le sujet contre les peurs sociales, contre l’uniformité et le contrôle social… La France avait tout lieu de se satisfaire de spécialistes politiquement tout à fait corrects, soignants modestes qui, tout compte fait, n’exigeaient pas grand chose, à condition qu’ils puissent poursuivre leur travail dans le respect de la déontologie professionnelle.

Le consensus semblait inaltérable. ll s’est dissolu en une année à peine. La politique de réduction des risques devenait entre septembre 1993 et juin 94 la politique officielle du ministère de la santé (56). L’évidence humanitaire l’a emporté : la France a, en termes d’épidémie du sida, des résultats catastrophiques. Tandis que les spécialistes se consacraient à dénoncer le risque des sidatorium et des politiques d’enfermement, politiques qui n’ont été adoptées par aucun pays européen, les mesures nécessaires n’ont pas été prises. Les intervenants avaient omis de confronter principes éthiques et situation effective des usagers de drogue. Et la confrontation est cruelle. De façon quasi caricaturale, les principes fondateurs du système de soin français ont produit les effets pervers qu’ils entendaient prévenir :

– le refus de la ghettoïsation a été invoqué pour refuser toutes mesures spécifiques. Ainsi des intervenants ont-ils opposé la vente libre en pharmacie et le développement des programmes d’échange de seringues. La vente en pharmacie s’adressait à tous sans discrimination, les programmes d’échange de seringue ne pouvaient que créer des ghettos. En Grande-Bretagne où les usagers de drogue peuvent choisir entre ces deux possibilités, 2 millions de seringues ont été vendues en pharmacie alors que 4 millions de seringues ont été distribuées dans les programmes d’échange de seringues. Les programmes d’échange de seringues ont permis d’entrer en contact avec une population plus marginales dont plus de la moitié n’était pas en contact avec des services (57). Au nom du refus de l’exclusion, nous avons refusé les services qui permettent d’entrer en contact avec les plus marginalisés, choix politique qui n’est du reste nullement spécifique à la toxicomanie.

– le refus de définir la toxicomanie par le produit opposait les intervenants français à la diabolisation du produit. Mais l’indifférence initiale aux produits s’est peu à peu transformée en une véritable croisade, qui a réuni ceux qui dénoncent dans les traitements de substitution « la normalisation » des toxicomanes « légalisés », et ceux qui vivent toute consommation de psychotropes comme perte de la liberté. La prescription d’opiacés à des toxicomanes malades du sida dans les services hospitaliers a été stigmatisée, attribuée à l’incompétence, la faiblesse ou la lâcheté. L’utilisation du Temgésic, puissant antalgique, par les médecins généralistes a été dénoncée (58) et les médecins prescripteurs ont été traités par leurs collègues de « fournisseurs de drogue » (59) pour ne pas dire de « dealers en blouse blanche ». Les intervenants en toxicomanie ont ainsi participé à la hantise des morphiniques des médecins français, hantise qui a fait négliger le soulagement de la douleur et nous place au 40ème rang mondial des prescripteurs de morphine. Nul ne s’est scandalisé de la désintoxication imposée aux toxicomanes hospitalisés et le monde médical a accepté, comme une fatalité qu’un toxicomane abandonne, après 12 ou 24 heures, son lit d’hospitalisation. Abandon lourd de conséquences, que le monde médical, spécialistes compris, attribue aux toxicomanes, preuve supplémentaire qu’ils n’ont aucun souci de leur santé.

– la demande du sujet devait initialement protéger le toxicomane de la pression de son environnement. Elle a de fait protégé les institutions de leurs patients. Dans un système où le nombre de places est limité, l’exigence d’une « demande authentique du sujet »‘ a pu devenir un principe de sélection des patients. Seule demande légitime, celle qui concerne la souffrance psychique, demande que le toxicomane doit être à même de verbaliser. « J’en peux plus, j’ai froid, j’ai mal, j’ai peur  » n’est pas entendu comme une demande de soin. Que le toxicomane puisse avoir d’autres besoins que la désintoxication ou que la prise en charge psychothérapeutique n’a pas été envisagé.

Autre effet pervers d’une pratique strictement définie par la demande du sujet : elle a été opposée à toute stratégie de prévention. Aller sur le terrain au-devant des toxicomanes et offrir soins et prévention, c’est contrevenir à l’éthique du soin dans la mesure où il n’y a pas de demande du sujet. La demande étant l’outil qui permet de résister au contrôle social, les actions de prévention sont interprétées comme autant de tentatives de contrôle social sans que soit discuté le type de contrôle social ou sanitaire à l’oeuvre .

– la diversité et la souplesse du dispositif est l’affirmation la plus paradoxale, si l’on songe que sur les trois grands types de traitement de la toxicomanie, soit l’accompagnement psycho-social ambulatoire, les traitements de substitution et les communautés thérapeutiques, un seul, le premier, a été développé en France. Certes les référents théoriques de ces accompagnements ne sont pas uniformes, mais la diversité des pionniers étaient surtout la diversité des personnes, du curé à l’éducateur, de l’ex-toxicomane au psychiatre. La professionnalisation du secteur s’est bien construite sur « une approche exclusivement psycho-dynamique » et les théories comportementalistes ou théories biologiques ont été rejetées sans discussion scientifique, au nom de l’utilisation coercitive qui en était faite. Accrochés « comme une huitre à son rocher » – la formule est du Dr Aimé Charles-Nicolas (60) -, nous avons superbement ignoré les travaux étrangers, études de trajectoire en milieu naturel ou études de suivi de toxicomanes en traitement qui ont amené Hollandais et Britaniques à une autre conception de la clinique, soit une offre de soin adaptée à chaque étape de la trajectoire des toxicomanes (61).

– le refus de la médicalisation a sans doute été le plus lourd de conséquence. Ont été successivement dénoncés comme contrôles sociaux la vaccination hépatite, l’accès à la sécurité sociale, perte de l’anonymat ou enfin les consultations médicales, peu nombreuses dans ce secteur « sous-médicalisé » (62). Face au sida, des spécialistes rappèlent « qu’une certaine prévention s’impose : avant tout préserver la dimension de la parole » (65) mais ils restent sceptiques quant à la possibilité des médecins non-spécialisés de suivre ces patients car « ce n’est pas travail d’amateur, c’est un énorme professionnalisme, à la hauteur de la micro- chirurgie des mains » (63). Aussi, les services d’urgence ou médecins généralistes ont-ils renvoyé sans état d’âmes ces patients difficiles vers les spécialistes dans la mesure où « l’organisation du système de soin spécialisé accrédite l’idée selon laquelle le toxicomane aurait « son » médecin (64). Tandis que les spécialistes poursuivaient leur combat contre la médicalisation de la toxicomanie, la dégradation de la santé des toxicomanes est devenue invisible.

On peut multiplier les paradoxes : comment pour « entendre la douleur », les soignants se sont refusés à la soulager ? comment la dénonciation du contrôle social a contribué au renforcement des contrôles répressifs ? comment au nom de la liberté du toxicomane, lui a été refusée la possibilité de choisir son traitement ? comment l’approche globale de la personne a évacué également besoins sociaux et besoins sanitaires en pleine épidémie de sida… Au-delà des spécificités de ce secteur, telle la fonction du soin dans le dispositif de lutte contre la toxicomanie ou encore la prégnance de l’approche purement psychologique, les difficultés des institutions de soins ne sont pas très différentes de celles que rencontrent toutes les institutions, l’Ecole, l’Hôpital ou les services sociaux : les institutions se sont fermées sur elles- mêmes, elles sont restées imperméables à leur environnement, elles ont oublié qu’elles étaient au service de l’usager. A cette différence que le débat n’a pu être mené publiquement.

Peut-on réconcilier soins aux toxicomanes et sida ?

Si la majorité des praticiens est restée immobile, comme frappée de stupeur, quelques uns, à Bordeaux, à Marseille, à Metz, s’engagent à l’annonce de la maladie dans des enquêtes (66), mais la question du sida reste longtemps limitée au champ de l’épidémiologique. Deux recherches en 1988 décrivent le changement de comportement des toxicomanes avec la libéralisation de la vente des seringues (67). En 1989, un colloque est organisé qui rend compte des recherches étrangères (68). Ces résultats ont peu d’incidences sur les pratiques.

La tâche que se proposent les intervenants les plus sensibilisés au sida n’est pas tant de changer de pratique que de s’articuler avec le système sanitaire. Sans « sacrifier la lutte contre la toxicomanie à la lutte contre le sida », sans « laisser tomber les toxicomanes », sans renoncer à traiter « le désir de se droguer plutôt que la voie d’administration », sur ces priorités, les intervenants français sont unanimes. À la recherche d’une solution à la française, articulant prévention du sida et traitement de la toxicomanie, des intervenants s’engagent dans différentes expériences de partenariat avec les services médicaux. Le diagnostic est posé en 1986 dans un « essai d’évaluation » de « la prise en charge médicale des toxicomanes et le système de soins spécialisés » (69). Globalement « cohérent, opérant et performant » écrit le Dr Ingold, le système n’en souffre pas moins de déficiences : « malgré l’anonymat et la gratuité, les toxicomanes n’ont pas recours à l’hôpital » et « ils ne s’adressent pas systématiquement aux institutions spécialisées ». « Paris manque de lits », et « l’accessibilité du système sanitaire spécialisé est très limitée ». Rodolphe Ingold ne recommande pas pour autant de développer les services : « Incomplet par nature et presque par vocation, le système de prise en charge doit pouvoir s’articuler sur les institutions sanitaires et sociales » (70).

Avec les institutions sociales, l’articulation est difficile, elle n’est pas inenvisageable. En rivalité avec les approches psycho-dymamiques, l’approche sociale de la toxicomanie s’ancre dans la tradition professionnelle, les éducateurs étaient nombreux parmi les pionniers. Tout au long des années 80, des initiatives tenteront de combler le fossé entre une clientèle de plus en plus marginalisée et une offre de soin de plus en plus psycho-thérapeutique. Des professionnels s’efforceront de prendre en compte le contexte social et familial avec des actions d’insertion socio- professionnelle, des thérapies familiales, des consultations en prison, puis, plus globalement, avec des tentatives de « politiques locales en toxicomanie » (71). Incriminées de « contrôle social », ces actions se développent souvent aux marges des institutions, elles font débat mais l’ANIT en rend compte. Au tournant des années 90, le « désenclavement » est devenu, si ce n’est effectif, du moins, légitime aux yeux des intervenants (72).

L’articulation avec le secteur sanitaire s’avère autrement difficile. Le secteur s’est constitué sur le refus de la médicalisation de la toxicomanie, la prise en charge spécialisée s’est forgée contre l’hôpital psychiatrique et les médecins du secteur de soins spécialisés, presque toujours psychiatres, se sont détournés de l’establishment médical. Comment prévenir la « réintroduction massive du médical (…) en quelque sorte, la victoire a posteriori du médical » (73) ? Telle semble bien la préoccupation première. Comment allons-nous faire ? « Sommes-nous concernés » ? La question n’est paradoxale qu’en apparence. « Et le plaisir ? » interroge un thérapeute qui rappelle que « la rencontre entre les toxicomanes et leurs thérapeutes s’est faite sur le plaisir ». La maladie, la mort n’étaient pas prévues au programme, les morts par overdoses n’étaient pas « déterminées », tout juste « une part de risque » acceptée par les thérapeutes comme par les toxicomanes (74). La collaboration avec les services hospitaliers suscite nombre d’interrogations. Les toxicomanes ne vont-ils pas perdre à l’hôpital « leur appartenance à un groupe marginal et revendiqué », « placés dans un statut de malade, et à leur corps défendant, normalisés et socialisés » (75) ? Il faut d’abord rappeler aux intervenants que les toxicomanes ont un corps, et qu’il faut le soigner, ce que fait, mezzo vocce puis avec véhémence, le Dr Bobilley, un des rares médecins généraliste de ce secteur (76). Au cas pour cas, et non sans réticences de part et d’autre, des ponts sont jetés entre les deux secteurs par les praticiens les plus proches de leurs patients. En 1988, le Dr Charles-Nicolas organise un colloque Toxicomanie-Sida qui réunit spécialistes et intervenants (77). La même année, est créée l’association Pluralis avec pour objectif « une prise en charge cohérente » entre les services hospitaliers et les spécialistes en toxicomanie (78).

A cette date, deux initiatives sont prises : programme d’échange de seringues à Marseille, programme méthadone à Paris. Déception à Marseille : pas une seringue n’est échangée et les toxicomanes contactés demandent des cures de désintoxication (79). Si on se désintoxique, on n’a pas besoin de seringue. Comment distribuer des seringues d’une main tout en incitant les toxicomanes à se désintoxiquer ? La contradiction peut être surmontée, elle l’a été en Grande- Bretagne où des services peuvent proposer à la fois seringues, méthadone et cures de désintoxication, chaque usager choisissant le service qui lui convient selon le moment de sa trajectoire mais il faudrait changer la conception de la toxicomanie et de son traitement, et plus encore, le dialogue avec l’usager de drogue. Il faudrait changer de façon de faire, et il n’en est pas question. Le programme est fermé deux ans après.

Lorsque le Dr Charles-Nicolas ouvre à Paris 12 places méthadone au centre Pierre- Nicole, ses ambitions sont modestes : mieux prendre en charge ses patients. Sans débat public, les cliniciens vont être amenés, « naturellement », selon lui, à développer ces outils, pour répondre à la dégradation de l’état de santé de leurs patients. Une circulaire de la même année engageait les spécialistes dans cette voie en ouvrant la possibilité de proposer des traitements méthadone (80). Mais ce petit programme reste le seul. La France passe de 40 places méthadone des deux programmes ouverts depuis 1973 à 52 places jusqu’en novembre 1993. Les intervenants ne montrent aucun intérêt pour cet « objet complexe » (81) qui n’est pas un traitement de la toxicomanie. Il faudra attendre deux années pour que l’ANIT ouvre le débat sur la méthadone. Ou plus exactement construise son argumentaire contre la méthadone : le produit est toxique, il rend dépendant, il y a des morts, les toxicomanes continuent de s’injecter des drogues, aussi la méthadone n’est-elle pas « un vaccin contre le sida »(82). Les exemples suisse et américain seront utilisés dans le débat public pour illustrer l’argumentation : malgré l’utilisation de la méthadone, les taux de séroprévalence y sont parmi les plus élevés (83). Que la Suisse ait développé les traitements à la méthadone après la vague épidémique de sida chez les usagers de drogues ou que les quelques 10% des patients à la méthadone aux USA seuls parmi les usagers de drogues intraveineux à pouvoir se protéger de l’épidémie n’est pas pris en compte et les français semblent ignorer que le débat de chiffres des années 70 a été tranché (84). Les intervenants français sont fâchés avec les chiffres et la santé publique n’est pas leur fort. Tous les arguments sont bons pour combattre la « normalisation des comportements » (85), seule justification vraisemblable de ces traitements pour les intervenants français. Les américains ont beau avoir renoncé à la fin des années soixante-dix au développement des programmes méthadone, faute de résultats satisfaisants en termes de contrôle de la population, « le meilleur des mondes » reste, semble-t-il, le danger le plus actuel.

Le retournement

Le changement n’a pu se faire de façon insensible. Le décloisonnement du secteur de soin spécialisé s’est heurté, plus qu’à la mauvaise volonté ou au corporatisme, à la conception même de l’intervention auprès des toxicomanes. Brutalement, il a mis en lumière les contradictions qu’un fonctionnement en vase clos avait gommées. Étendues aux services hospitaliers, les règles de fonctionnement des institutions telles le refus de l’urgence ou de la prescription de médicaments, devenaient meurtrières. Le diagnostic de la commission Henrion est sévère : « La toxicomanie s’est laissée envahir par la certitude des convictions » (86). Le sida n’a pas pu ébranler ce monde de certitudes. Le changement est venu l’extérieur, il s’est imposé par le débat public. Au cours de l’année 1992, un mouvement s’est constitué, il a réuni des acteurs issus de la lutte contre le sida, des médecins généraliste et, plus rarement, des médecins hospitaliers, des professionnels de terrain issus de la santé communautaire mais aussi de la toxicomanie et enfin des usagers de drogues et leurs proches (87). Au cours des années 80, tous ces acteurs, du reste peu nombreux, se débattaient isolément dans une indifférence générale. Aucun d’entre eux n’avait imaginé de s’engager dans une lutte collective. Les difficultés du soin ou de la prévention étaient attribuées à la seule toxicomanie, voire, pour quelques uns, aux politiques de prohibition des drogues. Il n’y avait donc aucun changement rapide à espérer.

Les premiers qui ont entrepris une action de prévention pour, mais aussi, avec les toxicomanes sont des militants de AIDES. L’association s’était construite sur la volonté de gérer la maladie avec les personnes concernées. Solidarité et responsabilité. La communauté homosexuelle avait su mettre en acte ces principes généreux, mais les toxicomanes n’étaient réputés ni pour leur sens des responsabilités ni pour leur altruisme. Daniel Defert, président de AIDES, malgré le scepticisme ambiant, s’engage d’entrée dans la recherche d’une alliance avec les usagers de drogue. En 1985, AIDES fait une première brochure destinée aux toxicomanes et prend contact avec Marmottan. Marmottan accepte de diffuser la brochure, un groupe de travail est monté pour élaborer un matériel de prévention mais ne parvient pas à une production commune : « la passerelle » avec les toxico- thérapeutes a été bien « difficile à traverser », commente Daniel Defert en 1988 (88). AIDES, dans la logique de la mobilisation communautaire, entend élaborer le document avec des toxicomanes, car pour Daniel Defert, il est clair qu’il y a bien les éléments d’une identification communautaire. La culture de la drogue a porté dans le monde entier la vague « Sexe, Drugs and Rock’and’Roll » et cette vague continue de nous influencer. Bien sûr, tous les usagers de drogue ne se situent pas de la même façon face à ce mouvement culturel mais celui-ci est suffisamment puissant pour les usagers de drogue se reconnaissent et se rencontrent partout dans le monde. Avec « quelques toxicomanes et de jeunes designers » AIDES élabore un deuxième document, une brochure « dramatiquement rouge et grise, mais nullement médicale, qui la rendait immédiatement identifiable », document que publie Libération en 1986.

Paradoxalement, les intervenants opposent à la participation directe des toxicomanes, la relation privilégiée qu’ils entretiennent avec leurs clients. AIDES, non sans conflits, s’était construit sur le refus de la parole confisquée par les soignants, mais la situation ici était particulièrement confuse : nulle parole organisée, au contraire des homosexuels, ne pouvait être opposée au discours thérapeutique. Dans les années 70, les intervenants s’étaient fait les « porte-paroles » de leurs clients (89). Dans les années 80, ils se sentent violemment remis en cause. Soupçonnés de complicité, ils ont le sentiment de partager peu ou prou l’ostracisme que subissent leurs clients. Cette position est d’autant plus intenable que les soignants se sont éloignés de leurs patients. Tandis que les techniques de prise en charge se professionnalisent, les soignants marquent la distance thérapeutique. « Les nouveaux toxicomanes » apparus à la fin des années soixante-dix sont décrits comme ayant perdu toute inscription sociale, isolés dans un monde où l’homme est un loup pour l’homme. Au début des années 80, il semble bien que le toxicomane soit tombé dans « un trou noir » (90). On s’accorde à reconnaître qu’il ne peut y avoir de culture commune dans le délitement de tout lien social. Ces deux processus, professionnalisation des techniques de prises en charge et marginalisation des toxicomanes, sont parallèles aux progrès de la guerre à la drogue, dans l’escalade des moyens mobilisés comme dans les esprits. Le milieu des années 80 n’est guère propice aux usagers de drogue et les militants du sida qui veulent donner la parole aux toxicomanes semblent venir d’un autre âge. Le corps professionnel se débat alors contre l’idéologie contre-culturelle qui l’avait d’abord constitué. Sans doute conviendrait-il d’étudier plus précisément comment s’est effectué le tournant des années 80, comment le discours du sujet et le discours libéral ont parallèlement ébranlé les convictions communes, comment enfin les fidélités à la culture contestataire telle la dénonciation du contrôle social, ont pris, avec les changements du contexte, de nouvelles résonances.

Une représentation de la toxicomanie s’affirme, représentation qui présente l’avantage d’être en cohérence avec les représentations dominantes : le toxicomane est hors de lui, hors du monde, il lui faut arrêter de se droguer pour reconquérir une parole. Toxicomanie et prévention du sida semblent bien inconciliables, compte tenu du goût du risque, ou, version plus stigmatisante, des tendances auto-destructrices. « Quand on est prêt à jongler avec la prison, la folie et la mort, on peut tout autant jongler avec le sida » avait affirmé le Dr Curtet tandis qu’il s’opposait à la libéralisation des seringues (91). Les meilleurs intentions du monde ne peuvent donc transformer le toxicomane actif en agent de prévention dans le monde de la drogue, si monde il y a, ce qui est contesté ou plus volontiers ignoré. La défiance envers les conceptions communautaires ou identitaires s’inscrit dans un contexte plus général de réticences face aux approches culturelles ou ethniques anglo-saxonnes. Le citoyen est opposé aux communautés qui redoublent exclusion et stigmate et la prévention se veut généraliste : « Le sida est l’affaire de tous ». Il importe avant tout de « prévenir les menaces potentielles d’exclusion sociale (92). Au nom de ce principe, les pouvoirs publics n’ont pas impulsé de campagnes spécifiques auprès des populations les plus exposées aux risques, toxicomanes mais aussi migrants ou jeunes des banlieues (93). Le silence des pouvoirs publics a été redoublé par celui des professionnels qui, à quelques exceptions près, ne s’est guère engagé dans l’élaboration de matériel de prévention et n’a pas jugé utile d’apporter son soutien aux usagers de drogues dans la prévention du sida. Ce soutien, des militant de la lutte contre le sida l’ont offert.

La mobilisation de médecins obéit à deux logiques qui sont traditionnellement en France opposées, une logique de prise en charge et une logique de santé publique. Les médecins français ont très généralement été convaincus que la toxicomanie ne relève pas d’un traitement médical, la pratique la plus habituelle était donc de renvoyer vers les spécialistes ces patients encombrants qui n’étaient pas des malades. Plus que le sida, c’est l’extension des toxicomanies qui va, au cours des années 80, entrouvrir la porte des médecins généralistes. Le toxicomane y vient pour solliciter une ordonnance : il veut décrocher. Les médecins seront finalement assez nombreux à accepter ces prescriptions ponctuelles – une étude menée en 1992 évalue à 200 000 la file active des toxicomanes chez les médecins généraliste dans les régions françaises les plus touchées (94). Quelques médecins, contre le cadre réglementaire qui interdit la prescription d’opiacés aux toxicomanes, contre l’avis des experts, contre enfin leurs propres représentations de la toxicomanie, vont découvrir expérimentalement les traitements de substitution. Dans cette découverte empirique, le Temgésic joue à deux reprises un rôle-clé (95). Ce médicament n’exige pas, au contraire des opiacés, le recours au carnet à souche. Aussi les médecins le prescrivent-il donc sans trop de difficulté avec pour objectif la désintoxication, seul objectif légitime. A cette occasion, toxicomanes et médecins généralistes entrent en relation. Les médecins les plus sensibilisés au sida vont mettre à profit ces rencontres pour traiter les pathologies somatiques de ces nouveaux patients tandis que d’autres suivent pas à pas les effets de leurs prescriptions et modifient peu à peu leurs représentations de la toxicomanie et de ses traitements.

Comment les médecins ont-ils commencé de prescrire des opiacés ? Interrogé, le Dr Carpentier répond qu’il a fait sa première prescription « parce qu’un patient le lui a demandé ». La prescription s’est faite dans le plus parfait des désaccords. Jean Carpentier est persuadé que la toxicomanie est un symptôme, que le problème, ce n’est pas le produit, mais il se réclame de la médecine hippocratique, « le médecin ne guérit pas, c’est le patient qui guérit, avec l’aide du médecin ». Le traitement doit être négocié. Le toxicomane demande un produit ? « C’est comme un préalable, incontournable. Je sors mon drapeau blanc, je recule, j’accepte le terrain » (96). Et Jean Carpentier obtient des résultats inattendus : les patient vont mieux, ils apprennent à contrôler leurs prises de produit, peuvent reprendre leur vie en main, et certains finissent même par sortir de leur toxicomanie. A tâtons, sans référent théorique, dans l’ignorance de la littérature internationale, des médecins s’engagent dans des prescriptions qu’ils ne conçoivent pas encore comme des traitements au long cours. Septembre 1992 marque un tournant. Pressée par une campagne menée par des spécialistes en toxicomanie, la commission des stupéfiants impose le carnet à souche pour la prescription de Temgésic. La majorité des médecins renoncent aux prescriptions : le carnet à souche fait peur. Les toxicomanes s’affolent, beaucoup renouent avec le monde de la drogue, d’autres se bousculent à la porte des très rares médecins qui poursuivent les prescriptions. Quelques-uns en meurent d’overdose ou de suicide. « C’est à ce moment, dit le Dr Clarisse Boiseau, un des médecins prescripteurs, que j’ai compris ce que veut dire un traitement de substitution ». Dans un article publié dans le Monde, dix médecins appèlent leurs confrères à former des réseaux pour la prise en charge des toxicomanes (97). Le débat est ouvert. Il se mène sur la place publique.

La mobilisation de Médecins du Monde se fait parallèlement. Dans le colloque organisé en 1987 avec AIDES sur le Droit des malades, les toxicomanes font une première et modeste apparition parmi les exclus du soin. Apparition scandaleuse. L’exclusion des soins, comme l’urgence sanitaire, est aujourd’hui devenue un fait social qui n’est plus contesté, même s’il irrite. A la fin des années 80, l’exclusion des toxicomanes n’a rien d’une évidence. La majorité des spécialistes est intimement persuadée de connaître tous les toxicomanes, tous ceux du moins qui, sortis de leur « lune de miel », souhaitent un traitement. Quant au discours de l’urgence, il est interprété comme un piège tendu par les tenants du fléau social à la naïveté des parents. Ou à des médecins égarés dans la toute-puissance médicale. MDM n’entend nullement médicaliser la toxicomanie et la toxicomanie n’y est pas davantage définie comme un problème d’exclusion. Quelques praticiens prennent acte de la présence de consommateurs de produits illicites parmi la clientèle des exclus. Leur première réaction est de faire appel au système de soins spécialisés pour y orienter ces patients qui ne sont pas véritablement des malades.

Le changement de perspective se fera, difficilement, sous influence anglo-saxonne. Il faut un voyage à New York, un autre à Liverpool pour que deux médecins, dont le président, le Dr Patrick Aeberhard, découvrent que des mesures de santé publique permettent aux usagers de drogue de se protéger du sida. MDM ne se sent ni la vocation ni la compétence de prendre en charge ces patients mais propose à Claude Olievenstein un projet de soins et d’accueil comprenant un échange de seringues. Le projet commun n’aboutit pas et MDM se lance seul dans un programme d’échanges des seringues. L’initiative provoque des réactions d’une violence étonnante : que viennent-ils faire dans cette galère ? Au sein même de l’association MDM, la sensibilisation à la toxicomanie reste limitée à quelques militants. Lorsque Bernard Koutchner devient ministre de la santé, il est certainement persuadé de la nécessité de favoriser l’accès aux seringues des usagers de drogue mais il ne perçoit pas le problème des drogues comme un problème de santé publique. Le revirement se fait tardivement, au cours de l’automne 1992, tandis que le débat sur la substitution est mené publiquement. En janvier 1993, B. Koutchner organise le colloque Tri-ville (98). Les français, spécialistes en toxicomanie, médecins du sida, médecine humanitaire, militants associatifs mais aussi journaliste de la presse écrite y découvrent ces politiques de santé, prônées par les meilleurs experts américains, expérimentées par les anglais. Le mouvement prend forme, il s’aventure, au-delà des politiques de santé, dans une réflexion sur les politiques de lutte contre la drogue.

Dans ce mouvement, le rôle des usagers de drogues a été déterminant. Il leur appartenait d’apporter la preuve que le changement leur convenait (99), qu’ils y avaient leur place, qu’ils pouvaient échapper aux stéréotypes qu’ils avaient dus, bon gré, mal gré incarner. Au cours de l’hiver 1992, un petit groupe accueilli par l’association Appart crée la première association d’usagers de drogue, ASUD. L’association est subventionnée, le relais d’usagers de drogue dans la prévention du sida s’étant avérée indispensable mais aussi efficace (100). Un journal est édité. Il est lu et joue un rôle-clé dans le changement des usagers de drogues, changement de pratiques, changement des relations en particulier avec le monde médical. Une nouvelle identité se construit au jour le jour, celle du « substitué ». Un toxicomane tenu « en laisse » pour les intervenants qui restent convaincus que l’esclave d’un produit ne peut être libre. Un patient comme les autres pour le médecin qui a cessé d’être « un dealer en blouse blanche ». Un citoyen comme les autres affirment ces nouveaux militants.

Un renversement de perspective

Les usagers de drogues doivent-ils avoir « le droit de se droguer? » Doit-on renoncer à la prohibition des drogues ? Il est bien évident que le mouvement de réduction des risques n’aurait eu aucun écho si parallèlement le système prohibitionnistes n’était sérieusement ébranlé. C’est toutefois l’évidence humanitaire qui a pu briser le mur du silence. Celle-ci est aujourd’hui incontestable, comme est devenue incontestable, des restos du coeur au SAMU social, l’exclusion ou la fracture sociale. Le constat s’affronte apparemment aux mêmes résistances. Les logiques caritatives vont-elles s’imposer au détriment des politiques de protection sociale ? Allons-nous accepter la société à deux vitesses, l’exclusion définitive du monde du travail ? En écho, les politiques de réduction des risques se présentent comme une politique de l’urgence, « une morale provisoire », disait Chirac en 1992 (101). Mais le soutien de l’association humanitaire qu’est Médecins du Monde à la politique de réduction des risques masque des enjeux qui sont tout autre. L’abandon de la guerre à la drogue ne peut être assimilé à un abandon des politiques de promotion et de progrès. Un monde sans drogues est, aujourd’hui plus que jamais, une chimère et l’objectif d’éradication des drogues, une illusion dangereuse. Comment faire pour que les politiques de lutte contre les drogues n’aggravent pas la santé de ceux qu’elles sont censées protéger, et plus généralement comment co-exister avec les drogues ? Poser ces questions, c’est opérer un renversement de perspective en passant d’une position de principe – le refus des drogues – à une analyse des effets des mesures, en termes de santé comme en termes de répression.

Les politiques de réduction des risques sont-elles le cache-misère, le dernier avatar d’une politique qui tente de masquer son échec ? Sont-elles au contraire le cheval de Troie des anti-prohibitionnistes ? Peuvent-elles être considérées comme une réelle alternative ? Nadelmann, spécialistes des politiques des drogues (drug policy) a ouvert ce débat (102). Comme presque tous les chercheurs de ce champ, il répond au moins partiellement en contribuant à ce mouvement international. La réduction des risques n’apporte aucune réponse au trafic international, question tout à fait centrale des politiques de lutte contre les drogues, du moins nous engage-t-elle dans une stratégie de changement quant à la demande de drogue, changement des pratiques, changement des représentations. Nous apprenons, lentement, à faire autrement avec les usagers de drogues tandis que les usagers de drogue expérimentent différentes modalités de contrôle de leur consommation en même temps qu’une autre place dans la société. Le voyage est moins romantique mais on ne peut faire de la fascination des passions extrêmes une politique. Laissons aux usagers de drogues la possibilité de prendre moins de risques s’ils le souhaitent. Les motards doivent mettre un casque, peut-être peut-on renoncer à multiplier les obstacles meurtriers sur la route de ceux qui consomment des drogues. Leur intérêt n’est pas seul en jeu, car la violence qui leur est faite pèse chaque jour plus lourdement sur leurs proches et leur environnement.

Le changement de perspective est radical. La situation est éclairée par d’autres questions que celles que l’on se posait précédemment, et le diagnostic bascule. La situation est-elle grave? Est-elle particulièrement grave au regard d’autres problèmes ? Que peut-on y faire ? Nous pensions que le problème de la drogue était un mythe, que les risques étaient somme toute modeste au regard d’autres problèmes sociaux, que les toxicomanes ne souciaient guère de leur santé, que la seule espoir était qu’ils arrêtent de s’intoxiquer. Nous nous sommes donc consacrés aux 5 à 10% qui peuvent envisager une désintoxication (103). Nous avons eu du mal à entendre les réponses que nos voisins européens apportaient à ces questions : la situation est suffisamment grave pour que des mesures soient prises et ces mesures sont efficaces (104). Ces mesures présentent l’avantage d’améliorer la qualité de vie des usagers de drogues et, contrairement aux craintes formulées y compris par les spécialistes n’impliquent nullement un renoncement à des désintoxications ultérieures, bien au contraire (105). Il nous aura fallu trois expertises nationales pour passer d’une position de principe juridico-morale à une analyse plus précise de résultats qui ne sont guère contestables (106). Les traditions de santé publique de la Grande-Bretagne ou de protection sociale des Pays-Bas ont mieux répondu aux nécessités de l’heure. Mais plus que les traditions culturelles, c’est la capacité de changement qui a été déterminante. En quelques trois années, les suisses et les allemands ont su effectuer un retournement complet de leur conception du soin.

Comment change-t-on d’éclairage ? Interrogés, chacun des acteurs du changement évoque le moment d’une prise de conscience, pour l’un, que la maladie est mortelle, pour un autre, qu’il pouvait lui-même donner des seringues, que personne d’autre ne le ferait à sa place, pour d’autres enfin, que le changement était possible. La prise de conscience est individuelle mais le processus est collectif, il se fait, comme tous les changements sociaux, en réseau. Le déni a été collectif, le re-cadrage de la situation se fait plus ou moins aisément, selon les rôles, les pratiques, les réseaux dans lesquels on s’inscrit. Rien d’étonnant si ont d’abord changés ceux qui étaient confrontés à des usagers de drogue hors du cadre institutionnel. Travailler dans une institution, un hôpital, une école, une prison implique d’en accepter, même à minima, le fonctionnement. Les intervenants en toxicomanie ont dû intégrer dans leurs pratiques et leurs problématiques le cadre à la fois législatif et institutionnel qui leur était imposé ; ils se sont débattus avec une mission impossible, ils ont subi, comme les usagers eux-mêmes le poids des représentations collectives. Les compromis qu’ils avaient élaborés devaient les protéger des pressions sociales, ces compromis ont masqué la gravité de l’épidémie de sida comme ils ont minimisé la violence de l’exclusion. Au-delà du système de soin en toxicomanie, ces compromis étaient en cohérence avec des évolutions plus générales, dans les politiques sociales où la peur de la discrimination n’a pas enrayé les processus d’exclusion, ou encore dans le secteur psychiatrique où le discours du sujet a pu servir de masque aux carences de la prise en charge sanitaire et sociale. Le changement de perspective impose une mise à plat des objectifs du soin et de la prévention, alors même que les silences et ambiguïtés avaient quelquefois permis de préserver l’espace du soin. Par là même, il impose une discussion des objectifs du dispositif de lutte contre la drogue. Il impose enfin une négociation de la place de l’usager de drogues dans les politiques sanitaires et sociales. Sans compter sa place dans la société… La tâche est rude. Nous en sommes aux commencements.

Notes

(1)  Le Monde, 29 septembre 1995.

(2)  DES JARLAIS D.C., HOPKINS W., « Free needles for intravenous drug users at risk for AIDS : current development in New York City » (letter) New England Journal of Medecine 313 1476, 1985. Présentation à la Conférence Internationale de Paris, 1986.

(3) ROBERTSON J.R. BUCKNALL ABV et coll. « Epidémic of AIDS related virus (HTVL III/LAV infection among intravenous drug abusers » British Journal of Addiction 192 p.527, 1986.

(4) MINO A., Analyse scientifique de la littérature sur la remise contrôlée d’héroïe et de morphine, Office Fédéral de la Santé Publique, Genève, 1990.

(5)  Le Monde 23 déc. 1992.

(6)  Libération 30 Nov. 1992.

(7)  TRAUTMAN C. Lutte contre la toxicomanie et le trafic des stupéfiants, 1990, La documentation française.

(8) articles du Monde sur l’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Suisse, les Pays-Bas des 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 janvier 1994.

(9) PADIEU R. L’information statistique sur les drogues et les toxicomanies, Rapport à la DGLDT, Décembre 1990. Voir aussi KENSEY A. et JEAN J.P., « Usage licite de chiffres stupéfiants », Pénombre, déc. 1993 n°2.

(10) Les processus qui ont conduit à une minimisation de la gravité du problème exigeraient une longue discussion. Parmi les études récentes, citons une études confrontant les sources d’information sur les overdoses en Ile de France, publiée dans le BEH, qui conclut à une sous-évaluation de 60% des overdoses, ce qui fait des overdoses la troisième cause de mortalité. La mortalité des toxicomanes (septicémie, accidents etc) n’est pas étudiée. Deux études sur de petites cohortes en Seine St Denis donnent un taux annuel de mortalité allant de 11 à 13% alors qu’il est de 0,5% pour les toxicomanes de la ville d’Amsterdam (statistiques citées par le Rapport du Conseil National du Sida, septembre 1992).

(11) Rapport de la commission de réflexion sur la drogue et la toxicomanie » Président Henrion, 1994, édité à la Documentation française.

(12)  Le Monde 27 fév.1982.

(13)  DEFERT D., « L’homosexualisation du sida » Gai-Pied Hebdo, n°446 29 nov. 1990.

(14) HERLICH C., PIERRET J., « Une maladie médiatisée. Le SIDA dans six quotidiens français » CERMES-CNRS/INSERM/EHESS, rapport datylographié 1988. Claudine Herzlich et Janine Pierret ont retenu un total de 412 articles de janvier 1982 à juillet 1986, sur les 6 quotidiens. Durant la période retenue, 18 articles ont été consacrés aux toxicomanes.

(15)  Libération, Le Monde , Le Figaro, La Dépêche du 23 août 1985.

(16)  Libération, 16 février 1986.

(17) SERFATY A., « L’infection par le VIH et l’usage de drogues en France : stratégies de prévention », AGORA, automne 1991, n°18-19.

(18) La Mission Interministérielle de Lutte contre la Toxicomanie est créée le 7 fév. 1985, elle succède au Comité Interministérielle, créé le 8 jan. 1982. La Délégation Générale de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie est créée le 6 décembre 1989.

(19) FAUCHER J.M., « Campagne nationale de lutte contre la toxicomanie, A chacun son fléau » Le Journal du Sida, n°24, janvier 1991.

(20) LEBEAU B. « Plan toxicomanie : les urgences en annexe », Agora n°27-28 Automne 1993.

(21) OLIEVENSTEIN, « En désespoir de cause », L’Esprit des drogues, Autrement, n°106, avril 1989.
(22) Sur la vente libre des seringues, voir BOURLA S., JOS M., MAGNAN S., La réglementation de la vente libre des seringues, Université de Paris 1 Panthéon- Sorbonne et Paris X Nanterre, DEA de droite pénal et de politiques criminelles en Europe, sous la direction du Pr Caballero.

(23)  SETBON M., Pouvoirs contre le sida, Paris, Le Seuil, 1993.

(24)  EHRENBERG A., L’individu incertain, Calmann Lévy, 1995.

(25)  PELLETIER M. Rapport de la mission d’études sur l’ensemble des Problèmes de la drogue, Documentation française, 1978.

(26)  EHRENBERG A, op. cit.

(27)  Journée épidémiologique T oxicomanie SIDA, INSERM/ANIT 1986.

(28)  Données fournies par Dominique SERINE, documentaliste au CRIPS.

(29)  JACOB Dr. et CONTI Dr. »Sida et toxicomanie », Intervention, n°12 déc. 1987.

(30)  ANIT , Dossier toxicomanie Sida, 1989.

(31)  FONTAINE B., Président de l’ANIT, « Toxicomanie(s) au temps du Sida », Journée Nationales, mai 1990, Intervention n°25-26.

(32) OLIEVENSTEIN C. « Le droit à la différence », Journées Nationales de l’ANIT, Lyon Juin 1989, Intervention, mai 1990.

(33) OLIEVENSTEIN C., « Guérir ou punir », Pau, Journées nationales de l’ANIT, Intervention nov. 1987.

(34) ODDOU A., Dr. « La toxicomanie, malade du SIDA ? » Pau, Journées nationales, Intervention nov. 1987.

(35) OLIEVENSTEIN C. « Marmottan, 20 après », Journal du Sida, n°24 janv. 1991.

(36) CHARLES-NICOLAS A. Dr, Introduction à Sida toxicomanie, Répondre, Editions Frisson-Roche, 1989.

(37) OLIEVENSTEIN C. 1991, »Marmottan, 20 après », op. cit.

(38) Voir les titres des journées nationales de l’ANIT : « Adolescence et toxicomanie, leurs institutionnels, institutions et officiels » 1981 « Adolescence et toxicomanie, Changer et prévenir » 1982 « Quelles institutions quelles interventions ? » 1983, « L’intervention en toxicomanie, éthique et réalités socio-politiques », 1984, « Toxicomanies et Lois » 1985, « La Toxicomanie en question » 1986, « Politique des interventions, intervention du politique » 1987, « Toxicomanie, répondre » 1988, « Toxicomanies, liberté, droits de l’homme » 1989, « Tox icomanies au temps du sida », 1990, « Choix thérapeutiques, choix politiques » 1991, « Du soins à la prévention, avenir et limite d’une spécialisation » 1992, « Comment prévenir les risques ? Prévenir, soigner ou contrôler ? » 1993, « Drogues et interdit, l’Esprit des Lois » 1994, « Prévention et soins en toxicomanie, la question de l’efficacité », 1995.

(39)  ZAFIROPOULOS M., Le toxicomane n’existe pas, Navarin Editeur, 1988.

(40)  OLIEVENSTEIN C, Autrement 1989, op. cit.

(41)  DAMADE M. Dr, « Psychiatrie et toxicomanie », Sociologie et Santé,1994, n°10.

(42)  L’Association Nationale des Intervenants en Toxicomanie (ANIT) est créée en 1980. Le terme retenu « intervenant en toxicomanie » permettait d’affirmer une identité commune aux différentes professions mais aussi aux « non-diplômés », souvent « ex- toxicomanes ».

(43) VALLEUR M. Dr, « Drogues et droit du toxicomane, le point de vue du praticien, in Drogues et Droits de l’Homme, sous la direction de F. Caballero, Les Empécheur de tourner en rond, 1992.

(44)  PETIT F., « Mémoire du système de soins » Intervention n°35-36, 1992.

(45)  J. BERNAT de CELIS, Fallait-il créer un délit d’usage illicite des stupéfiants, CESDIP, 1992, n°54.

(46) HEFEZ S., Dr, « La fin des libertaires » Libération 25 juillet 1994.

(47) DAMADE M. Dr, « Quelques points d’histoire concernant les post-cures », Intervention n°27, décembre1990.

(48)  VALLEUR M. op. cit.

(49)  EHRENBERG A., op. Cit.

(50)  HEFEZ S., Dr, op. cit.

(51)  PERTINAND P., « Aux frontières de la toxicomanie : la liberté et les droits de l’homme », ANIT Congrès International, Juin 1989 Intervention Mai 1990. I.p;73

(52) INGOLD F.R. Dr., « Le processus de la dépendance chez les héroïnomanes », Ann. Medico-Psychologiques, 1985, 143, n°6.

(53) Esprit,  » Changer de cap institutionnel, Entretien avec Claude Olievenstein », Drogue et Société, Nov.-déc. 1980.

(54)  VALLEUR, op. cit.

(55)  Esprit, 1980, op. cit.

(56)  La réduction des risques infectieux chez les toxicomanes, 21 Juillet 1904, Conférence de presse de Madame Simone Veil

(57) DONOGHOE M., STIMSON G., DOLAN K., Syringue Exchange in England, an overview, The Center for Research on Drugs and Health Behaviour, 1992

(58) HAUTEFEUILLE M. Dr, POLOMENI P. Dr « Le résistible essor d’une drogue légale », Journal du Sida, n°35 janvier 1992, HAUTEFEUILLE M. Dr., « Le Temgésic, nouveau produit, vieilles illusions », ANIT journées nationales, Intervention n°30-31, 1991.

(59) MOREL A., HAUTEFEEUILLE M., BINDER P., AFCHAIN J., »Toxicomanie : les médecins, docteurs ou fournisseurs ? » Le Monde, 23 sept. 1992.

(60) CHARLES-NICOLAS A. Pr., « Vingt-cinq ans après, des vies auprès des toxicomanes », AGORA Automne 1993.

(61) Sur les études de toxicomanes en traitement voir LERT F. et FROMBONNE E. La toxicomanie : vers une évaluation de ses traitements, Documentation française, 1989. Sur les principes qui fondent cette nouvelle conception du soin aux toxicomanes voir MINO A. « Evolution de la politique de soins en matière de toxicomanie : la réduction des risques », AGORA, 27-28, automne 1993.

(62) INGOLD F.R. Dr , La prise en charge médicale des toxicomanes et le réseau sanitaire spécialisé, Essai d’évaluation, Rapport au Ministre Délégué chargé de la Famille et de la Santé, 13 déc. 1986.op. cit.

(63) B. GERAUD, A. Dr, « Plaisir malin », L’Esprit des drogues, Autrement, n°106, avril 1989.

(64)  OLIEVENSTEIN C. 1991, Journal du Sida.op. cit.

(65)  Commission HENRION, op. cit.

(66)  JACOB et CONTI, op. cit., Jury-Les-Metz, Intervention, Déc. 1987 PROVOST M. SIDA, toxicomanie en milieu carcéral, Enquête à la maison d’arrêt de Bordeaux, Thèse Bordeaux, 1987. ODDOU A. Dr Lyon,1987, op. cit.

(67) INGOLD F.R., INGOLD S., Les effets de la libéralisation de la vente des seringues, IREP 1988, FACY F. LOWENSTEIN W. INGOLD F.R., INGOLD S., « L’héroïnomanie, la seringue et le sida », Retrovirus, septembre 1988.

(68) SIDA et TOXICOMANIE (1) et (2) Rétrovirus, La Revue du Sida, n°8, Déc. 1990 et n°9, mars 1991.

(69) INGOLD F.R. Dr., 1986. op. cit.

(70) Sur ce point, spécialistes et pouvoirs publics se rencontrent dans le plus parfait des malentendus, les premiers dénonçant le contrôle social, les seconds tentant de maîtriser la prolifération des services de l’Etat-providence.

(71) TOUZEAU D. Dr, COPPEL A., Politiques locales et toxicomanies, Actes du colloques, 22-23 janvier 1988, INJ/FIRST, 1989.

(72) DAMADE M. « Vingt-cinq ans après… des vies auprès des toxicomanes », Toxicomanies, Agora 27-28, automne 1993.

(73)  OLIEVENSTEIN C., 1991, op. cit.

(74)  GUEGEN J.-P., Dr, « SIDA Et si les intervenants en Toxicomanie n’étaient pas vraiment concernés ?  » Intervention n°15-16, sept. 1988

(75) POMMIER F., Dr TABOUADA M.-J., Dr VANHOVE A.M.,DR, « Impact de l’annonce de la séropositivité sur les patients toxicomanes », L’Information Psychiatrique, 64 5, 1988, p.682-86.

(76) BOBILLEY. Dr., « Toxicomanie et Sida », Intervention avril 1987, Toxicomanie et Sida, commentaires actuels », ANIT, journées nationales Mai 90 Intervention n°25- 26.

(77) SIDA et TOXICOMANIE : Répondre, colloque international de FIRST, Assemblée Nationale, 9 et 10 sécembre 1988.

(78) VAN ERSEL M. PATEY O., « Présentation de l’association « Pluralis », Intervention n°18 février 1989.

(79) SABATIER Dr. « Echanges de seringues, un travail de secteur à Marseille » ANIT, Journées nationales, Intervention n°25-26 1990.

(80)  Circulaire DAS-DGS/405 du 15 mai 1990.

(81)  DUGARIN J. Dr; NOMINE P., « Méthadone objet complexe », Intervention, n°23, Fev. 1990.

(82) DELILE J.M., Dr. « Programmes de substitution et réduction des risques », Journées Epidémiologiques/SIDA ANIT-INSERM, La Salpétrière Paris, 2 octobre, n°37, Décembre 1992, Intervention.

(83) Voir par exemple HAUTEFEUILLE M. Dr. « Les 7 erreurs de la substitution » Libération 23-24 janvier 1993.

(84) Des évaluations menées à la fin des années 80 fournissent des réponses rigoureuses aux questions telles que la poursuite ou non de l’injection (70% de réduction en moyenne) et rendent compte de la variabilité des résultats selon les programmes. Voir COPPEL A., »L’efficacité des programmes méthadone mesurée par les expériences étrangères », Le Journal du Sida Février 1993.

(85) JACOB C. Dr « Plutôt rester dans le besoin que de risquer les maux plutôt que les mots » Journées nationales ANIT, Strasbourg, juin 1993.

(86) Commission Henrion, 1994, op. cit.

(87) COPPEL A., LAMIEN E., « Naissance d’un collectif d’association, Limiter la Casse », AGORA, 27-28, automne 1993.

(88) Daniel Defert, « AIDES, une démarche de proximité » in Sida toxicomanie, Répondre, sous la direction du Dr Aimé Charles-Nicolas, Editions Frisson-Roche, 1989.

(89) Jean-François SOLAL, « Le drogué et le spécialistes, partage d’une illusion », p. 92-98 in Esprit, Drogue et Société, 1980.

(90)  DUBET F., La Galère, jeunes en survie, Fayard, 1987.

(91)  CURTET F Dr., membre de la Commission des Stupéfiants, Directeur du Trait d’Union, Quotidien du Médecin 3 mars 1986, cité par BOURLA S., et coll. op. cit.

(92) Sur les politiques françaises face au sida, voir FABRE G., « Les traitements sociaux du SIDA : rationalités préventives et stratégies politiques », AGORA, automne 1991

(93) Sur la nécessité de stratégies de prévention spécifiques aux jeunes des banlieues voir COPPEL A. « Conclusion » in Les réseaux d’échange sexuels et de circulation de l’information en matière de sexualité ches les jeunes des quartiers à risque, en coll. avec BOULLENGER N. et BOUHNIK P., GRASS/ANRS, mars 1993.

(94) CHARPAK, 1992, EVAL

(95) Le Temgésic est un médicament contre la douleur, dont l’effet opiacé est contrebalancé par un antagoniste et que les médecins pouvaient prescrire sur une ordonnance simple au contraire des médicaments stupéfiants qui exigent un carnet à souche.

(96) CARPENTIER J.Dr La toxicomanie à l’héroïne en médecine générale, Ellipses, 1994.
(97) CARPENTIER et coll., « Le repère du toxicomane », Le Monde, 9 septembre 1992.

(98)  Toxicomanie, Sida, exclusion, Les Temps Modernes, Oct. 1993, n°567.

(99)  Selon les résultats obtenus en Suisse et aux Pays-Bas, entre 30 et 40% des héroïnomanes choisissent un traitement de substitution lorsqu’ils en ont la possibilité

(100) COPPEL A. « Stratégies collectives et prévention de l’infection par le VIH chez les toxicomanes », Sida Toxicomanie, Dossiers CRIPS, nov. 1993.

(101) Interview de Jacques Chirac « Non à une morale provisoire », Nouvel Observateur, 26-27 décembre 1992.

(102) NADELMANN, « Réflexions sérieuses sur quelques alternatives à la prohibition », Toxicomanie, Sida, exclusion, Les Temps Modernes, Oct. 1993 n°567, trad. de Daaedalus, « Political Pharmacology : Thinking about Drugs », Eté 1992, vol. 121 n°3.

(103) WODAK A., NADELMANN E. O’HARE P. (dir.) Psychoactive Drugs and Harm Reduction, From Faith to Science, Londres, Whurr Publishers, 1993.

(104) Avec une politique de santé publique, Genève a vu baisser les taux de séroprévalence du virus du sida de 45 à 55% des années 1986-1988 (taux comparables à Paris à cette même période) à environ 10% (chiffre fourni sur la base des toxicomanes en traitement à la méthadone par A. MINO lors de la Conférence Internationale Toxicomanie, Sida, Hépatites, Cannes, sept. 1995). En Ile de France, les taux que nous obtenons aujourd’hui sont de 33% dans les programmes méthadone de la Clinique Liberté à Bagneux et à Emergence Espace-Tolbiac à Paris.

(105) Le nombre de cures de désintoxication augmente avec l’extension des programmes méthadone à Genève comme à Amsterdam (voir MINO op. cit. 1991 et BUNING ).

(106) Voir Conseil National du Sida, septembre 1993, op.cit. Commission Henrion, 1994, op. cit., Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la vie et de la santé sur les toxicomanies, 23 nov. 1994.

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