Le projet socialiste au banc d’essai (3/7) : Faut-il dépénaliser le cannabis ?

Par Matthieu ECOIFFIER, Libération

 

 

La fumette légale ne fait plus planer le PS

 

Sur les drogues, l’UMP ne renierait pas le projet du PS. Pour les socialistes, il s’agit de faire de «la lutte contre les réseaux [de trafiquants, ndlr] une priorité». De prodiguer «une politique de soins spécifique aux addictions à la drogue». Et de faire éteindre leurs joints aux adeptes de la fumette : «Le cannabis est massivement expérimenté par plus d’un jeune sur deux. L’immobilisme n’est pas tenable. A la lumière des expériences étrangères, nous lancerons un grand débat sur les risques liés à la consommation de cannabis et les moyens d’y remédier», peut-on lire dans le préprojet du PS.

On est loin de la gauche pétard et de la dépénalisation de l’usage prônée par Bernard Kouchner, ancien ministre de la Santé. «Deux ans de débats et il ne reste rien dans les propositions socialistes», regrette Anne Coppel. La présidente de l’Association française de réduction des risques (AFR) a participé, à l’instar d’une poignée de militants associatifs, aux réunions de la commission ad hoc du PS, menée par Malek Boutih, secrétaire national aux questions de société. Et ne cache pas aujourd’hui sa déception : «La question de la dépénalisation de l’usage du cannabis en petite quantité n’est même pas posée. Alors que c’est une première étape nécessaire et urgente. Déjà à l’oeuvre chez nos voisins européens, cette mesure ne provoque aucune hausse de la consommation et permet de faire une prévention efficace sur la réalité des risques. Le cannabis est, avec l’alcool et le tabac, l’un des trois produits le plus consommés : c’est le moins dangereux et le plus sanctionné.»

La déception du milieu associatif est d’autant plus grande qu’au sein de la commission du projet socialiste, les échanges ont été riches et passionnants. «Malek Boutih estime que la dépénalisation de l’usage est la pire solution, une hypocrisie. Pour lutter contre les mafias en banlieue, il défend une légalisation du cannabis, distribué et contrôlé par un monopole d’Etat, raconte un militant associatif. Sauf que cette proposition radicale n’avait aucune chance de passer au PS. Et se heurte aux conventions internationales.» Résultat, la synthèse actuelle fait l’impasse sur tout véritable changement.

En novembre 2003, Daniel Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur de Lionel Jospin, appelait dans une tribune publiée par Libération à «avoir le courage de sortir vraiment du statu quo» sur le cannabis. Il proposait d’«encadrer et de contrôler la production ou l’importation. Et d’autoriser la consommation pour tenir compte de la banalisation, à l’exception des mineurs de moins de 16 ans», tout en durcissant la lutte contre les trafics et la répression du cannabis au volant. Des propositions concrètes absentes du préprojet dont le flou ne parvient pas à cacher un manque singulier d’ambition.

«Le projet dénonce les mafias et lutte contre les consommations : cela s’appelle une guerre à la drogue. En revanche, il n’y a pas un mot sur les acquis de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie», regrette Anne Coppel. «Beaucoup de militants de la réduction des risques (liés aux drogues) se sont mobilisés pour faire évoluer le PS. Et l’on aboutit à des propositions fades et pleutres. Ils ne nous ont pas écoutés», dénonce Eric Labbé d’Act Up. En Allemagne, en Belgique, en Grande-Bretagne, en Espagne et en Italie, avoir une petite quantité de cannabis pour sa consommation personnelle n’est plus un délit. «En France, il y a encore 120 000 interpellations d’usagers de cannabis par an, la police n’a-t-elle pas mieux à faire ?» interroge Anne Coppel. Une question qui ne semble guère préoccuper le PS.

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