Toxicomanie : le sida brave l’interdit

 FOLLÉA LAURENCE

 

La politique de santé publique en matière de toxicomanie vient de prendre un tournant capital, mardi 27 octobre, lors de la présentation par M. Bernard Kouchner du budget du ministère de la santé devant l’Assemblée nationale.

La population des usagers de drogue utilisant la voie intraveineuse est estimée entre 100 000 et 150 000 personnes, dont 20 % à 30 % seraient séropositives. L’urgence gouvernementale est désormais d’enrayer la propagation du virus du sida, quitte à accepter, d’une part, que des individus continuent à s’injecter des substances psychotropes et, d’autre part, à renforcer les programmes de substitution médicamenteuse à la méthadone.

Élargir la palette de prise en charge

Le pouvoir prend un risque calculé, sur un terrain où peu de responsables politiques se sont jamais aventurés. Il répond à un certain nombre d’interrogations qui agitent le milieu médical (lire ci-dessous le point de vue des professeurs Benhamou et Olievenstein). Comparant le caractère  » non définitif  » de la consommation de drogue par voie intraveineuse et la possible guérison des toxicomanes à la fatalité mortelle de l’infection par le virus du sida, qui  » elle, n’est jamais transitoire « , M. Kouchner prend position :  » S’il utilise de la drogue intraveineuse, un jeune doit au moins le faire dans des conditions qui lui garantissent la non-contamination par le sida.  » Il ajoute que  » la libéralisation de la vente de seringues a été une bonne chose « , mais que  » ce n’est plus suffisant aujourd’hui.  » En conséquence, les programmes expérimentaux d’échanges de seringues, que le ministre ne cite pas nommément, semblent une solution possible ( » le Monde Sciences-Médecine  » du 29 octobre).

M. Kouchner a en outre annoncé une série de mesures  » pour faire face à l’augmentation de la demande de soins « . Les centres spécialisés, dont les missions ont été redéfinies par décret (le Monde du 22 juillet), voient leur budget croître de 25 millions de francs. Or la plupart des membres de ce groupe à risques ne fréquentent pas le système de soins. La  » palette de prise en charge  » devra donc être élargie, notamment au niveau de la médecine de proximité avec  » la création de réseaux de médecins généralistes (…) en contact direct avec la population « , auxquels les pharmaciens pourraient être associés.  » L’ouverture des hôpitaux généraux et psychiatriques à l’accueil et aux soins des toxicomanes en des structures souples et peu contraignantes « , et la nomination de responsables  » toxicomanie  » dans ces établissements, complèteront le dispositif.  » Le développement de programmes de substitution à la méthadone  » est également à l’ordre du jour, avec un objectif précis pour 1993 :  » porter de cinq à dix le nombre des centres existants.  » Les fonds débloqués à cet effet devraient atteindre 2,8 millions de francs.  » Tout ce que nous ferons pour dire à ces jeunes, avec ces jeunes, que leur santé nous importe et que le sida est plus dangereux que la drogue, peut entraîner une diminution de l’épidémie « , a encore assuré M. Kouchner. Dans ce contexte, et puisqu’il faut rattraper  » un grand retard par rapport à nos voisins européens « , les campagnes d’information et de prévention vont redoubler d’intensité. Le budget de l’Agence française de lutte contre le sida (AFLS) doit augmenter de  » près de 50 % « .  » L’ambiguité de la législation fausse le débat, a également souligné le ministre de la santé. Seule, la répression ne peut assumer la lourde tâche de traiter le problème.  » Et de citer le cas de New-York où  » les responsables sanitaires ont demandé à la police de cesser les arrestations qui ne servaient à rien.  »

Il ne convient pas de bannir l’arsenal répressif mais de s’attaquer par le biais des soins, de la prévention et de l’éducation, à  » un problème de santé publique majeur.  » Les propos du ministre vont sans doute paraître laxistes aux uns, avant-gardistes aux autres et pourquoi pas frileux à certains. Ils ont le mérite de lever définitivement le voile sur un mode de toxicomanie marginalisé à l’extrême, de formuler des choix politiques, de prendre en la matière une position claire.

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