Toxicomanies : de la répression à la prévention

Tribunes / Libération

 

La France déclare la guerre aux Pays-Bas. Sans vouloir même connaître leur politique en matière de toxicomanie, on proclame qu’ils ont échoué ; on les accuse de nous corrompre et de nous envahir; d’attirer notre jeunesse dans leurs « supermarchés de la drogue » et d’organiser le narcotourisme.

La politique des Pays-Bas est ancienne et pragmatique: elle associe une dépénalisation de l’usage des drogues à une politique très avancée de réduction des risques et une lutte ferme contre le grand trafic. Les usagers ne sont ni marginalisés ni stigmatisés, les trafiquants de drogues dures sont harcelés, arrêtés. Cette action, qui a l’avantage d’être ancienne, est aujourd’hui au coeur d’un débat national; la situation du tourisme préoccupe les dirigeants néerlandais, réellement conscients des effets pervers et attentifs aux insuffisances. Mais, en vingt ans, la dépénalisation de l’usage n’a pas augmenté le nombre d’usagers, comme le démontre très bien le professeur Peter Cohen, sociologue à l’université d’Amsterdam. Le résultat est éloquent: 1,6 drogué pour 1.000 habitants aux Pays-Bas contre 2,6 en France; 11% des toxicomanes néerlandais sont contaminés par le virus du sida, là où la France en annonce de 25 à 50%.

A quoi bon, dès lors, déclarer la guerre internationale quand nous sommes en train de perdre une guerre civile ?

En France, le nombre d’usagers ne cesse d’augmenter tandis que la police avoue son impuissance par manque de moyens et d’objectifs cohérents. Le sociologue Michel Setbon a très bien étudié les stratégies policières et conclu que «la répression de l’usage de drogues n’a ni pour fonction ni pour effet de réduire la délinquance». Les jeunes des banlieues sont de plus en plus exclus de la société, marginalisés, diabolisés, assimilés par amalgame à des terroristes, alors que ce sont, pour la plupart, des Français en rupture de lien social, sans perspective d’emploi. La réponse: c’est la «loi de 1970» qui fait de tout toxicomane un délinquant et qui est appliquée de manière si discrétionnaire sur l’ensemble du territoire qu’elle se heurte à la conception républicaine de l’égalité, comme l’a démontré le rapport Henrion, ainsi que l’absence d’accès aux soins indispensables. La réduction des risques est un concept de santé publique: il a, bien entendu, des retentissements sociaux sur le niveau de violence et de délinquance.

En l’occurrence, nous sommes dramatiquement en retard alors qu’en principe la politique de prévention est devenue, depuis 1992, une priorité gouvernementale.

Prenez le département de Seine-Saint-Denis, qui détient un triste record de cas de sida parmi ses toxicomanes. Il n’y a pas de structure d’accueil simple, comme les boutiques, ou d’hébergement d’urgence, comme les sleep-in, pas de bus d’échanges de seringues, pas ou peu de place méthadone (alors que les directives préfectorales le recommandent depuis deux ans), pas de postcure, pas de politiques municipales. Les hôpitaux, désemparés, font face à la violence, mais n’ont pas de service de pointe comme à l’hôpital Broussais ou à Cochin. Le conseil général annonce des structures d’accueil pour l’ensemble du département, et l’on attend encore !

Dans ce désert, une petite association (Arcades) poursuivait un travail de proximité malgré tous les immobilismes. Fragile, elle essayait de rayonner sur 11 communes, ce qui semble héroïque, elle avait mobilisé d’anciens usagers. Catastrophe! l’un d’eux est arrêté et jugé pour trafic de drogue. Ce dérapage est tout à fait inacceptable et condamnable. Mais voilà que, sans faire de détail, le conseil d’administration d’Arcades et la DDASS dissolvent l’association et ferment brusquement le centre. Les usagers de la plupart de ces 11 communes n’ont plus d’accès à un minimum d’aide de proximité.

Si on connaît pareille détresse dans les pays déshérités d’Afrique, il faut concevoir que cela se passe en Seine-Saint-Denis où ce problème représente une priorité. La direction départementale des affaires sanitaires et sociales tente d’améliorer la réduction des risques, elle affirme en avoir les moyens mais pas les opérateurs, il ne faut pas qu’elle supprime cette association sans en assurer le relais. Que font les responsables, c’est-à-dire nous, médecins, travailleurs sociaux, hommes politiques, familles, collectivités locales, municipalités et, avant tout, l’Etat, garant de la sacro-sainte loi de 1970 ?

Des associations comme Aides ou Médecins du monde ont réussi à développer de nombreuses offres de prise en charge et de prévention, mais ces associations n’ont plus à se substituer à l’Etat pour un problème de santé publique. L’Etat doit stimuler, former et financer, là est l’urgence.

La fermeture d’Arcades est un symptôme, il est particulièrement grave. Au lieu de s’agiter contre les faux coupables néerlandais, entreprenons enfin une politique globale, humaine, sanitaire, solidaire avec tous les acteurs. Dressons un état des lieux objectif et avançons des propositions. Nos enfants méritent un autre avenir.

Au lieu de s’enfermer en France, en nous vantant avec ridicule de nos mauvais chiffres, en remplaçant nos travailleurs sociaux et nos médecins par des policiers surchargés et dépressifs, reconstruisons d’abord nos rapports sociaux, dans toute l’Europe et avec nos amis néerlandais, allemands, britanniques… Il faut croire aux chiffres, à l’expérience et retrouver l’espérance.

L’espoir que la douzième personne nommée pour diriger la Délégation interministérielle de lutte contre la toxicomanie (DGLDT), Françoise de Veyrinas, aura enfin les moyens financiers et politiques de mettre en place une véritable politique à l’égard des drogues qui saura équilibrer santé publique et répression, afin de trouver les moyens de prévention et de traitement des toxicomanes.

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